Combien de temps l'économie américaine pourra-t-elle vivre à crédit ?

Par Eric Leser



La croissance de l'économie mondiale repose aujourd'hui en grande partie sur la consommation américaine. Elle représente un peu moins de 70 % du produit intérieur brut (PIB) des Etats-Unis et près de 20 % de l'activité mondiale. Contrepartie de cette situation et du laxisme budgétaire de l'administration Bush, les déficits commerciaux et des paiements des Etats-Unis ne cessent de se creuser. D'autant plus vite pour les capitaux que les Américains consacrent la quasi-totalité de leurs revenus à dépenser et à rembourser leurs dettes.

Le taux d'épargne des ménages aux Etats-Unis est tombé au niveau sans précédent de 1,5 % du revenu disponible. Le système fonctionne car les banques centrales des pays qui exportent vers les Etats-Unis recyclent leurs considérables excédents en dollars. En 2004, la Chine a dégagé un surplus avec les Etats-Unis de 162 milliards de dollars (125 milliards d'euros), l'Union européenne de 114 milliards, le Canada et le Mexique de 111 milliards et le Japon de 75 milliards.

Face à de tels déséquilibres, la principale variable d'ajustement est monétaire. Voilà pourquoi le dollar ne cesse de s'affaiblir depuis trois ans. Il a perdu près de 38 % face à l'euro et 23 % contre le yen. En théorie, cela devrait rendre les produits américains plus compétitifs. En pratique, cela n'a aucun effet. Le déficit commercial a encore atteint en janvier un sommet à 58 milliards de dollars. Cela s'explique à la fois parce que la devise de pays clés comme la Chine a un lien fixe avec le dollar et parce que l'industrie américaine est incapable de se substituer aux importations.

L'augmentation de la demande de produits manufacturés dans une économie en forte croissance (4,4 % en 2004 et sans doute au moins 3,5 % cette année) est satisfaite pour l'automobile, la sidérurgie, les biens d'équipement, les meubles, les plastiques, la chimie, le textile, les jouets par les importations.
La stagnation de l'industrie, hors technologies de l'information, et la dégradation de la balance commerciale des Etats-Unis sont deux faces du même problème. L'économie américaine a besoin de plus en plus de capitaux étrangers pour alimenter sa croissance. Pour l'instant, les banques centrales (surtout d'Asie) gonflent sans cesse leurs réserves de dollars et tentent ainsi d'éviter un recul trop brutal de la devise américaine pour préserver leur croissance et leurs exportations vers les Etats-Unis.

RISQUE DE RÉCESSION

Pour la plupart des économistes, ce système est dangereux et ne peut pas perdurer. Alan Greenspan, le président de la Réserve fédérale, fait partie des optimistes. "La souplesse de l'économie américaine lui permettra de régler progressivement les problèmes actuels en matière de commerce et d'épargne" , a-t-il déclaré, il y a deux semaines, devant le Council on Foreign Relations (Conseil des relations extérieures).
Pour d'autres experts, l'issue s'annonce douloureuse. Quand les banques centrales cesseront d'acheter des dollars, l'économie mondiale subira un choc de grande ampleur. C'est la conclusion d'une étude des économistes d'Ixis CIB. Ils estiment que les déséquilibres ne peuvent plus être résorbés sans une récession aux Etats-Unis et, sans doute ensuite, dans le monde. "La date de cette récession peut être tardive (2007, 2008 ou 2009) puisqu'il faut attendre que les inconvénients de la stabilisation du dollar l'emportent sur les avantages (soutien des exportations) dans les pays qui réalisent les interventions de change" , écrit Ixis CIB. Sans financement par les banques centrales étrangères, les Etats-Unis seront contraints de réduire leur déficit commercial à un niveau finançable.

Comme l'industrie est incapable de remplacer une partie des importations, l'ajustement ne peut se faire que par une baisse de la demande de produits étrangers. Il faut pour cela que la dépréciation du dollar soit suffisamment forte pour que la hausse des prix des produits importés diminue le pouvoir d'achat des Américains.

Ils consommeront moins et épargneront davantage, entraînant une forte baisse de l'activité évaluée par Ixis CIB à au moins 2 %. Pour le reste du monde, la secousse s'annonce aussi sévère. Le recul des exportations vers les Etats-Unis s'accompagnera d'une perte de compétitivité sur les marchés mondiaux.

jeudi 24 Mars 2005


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