Février
2015

L'actualité du Mois



Un Triste Jour pour l’Afrique
Par
Gilles Marchand


En élisant Robert Mugabe à la tête de l’Union africaine, les leaders africains ont commis une erreur stratégique majeure...

Nous sommes encore le 30 janvier 2015, de ce qui est un triste jour pour l’Afrique. Vers 11H00, ce matin, toutes les notifications de toute les agences de presse et des principaux journaux, se sont mises à clignoter et nous avons vite été attristés par cette musique improbable qui se mettait à résonner. « Robert Mugabe », le président zimbabwéen, si décrié depuis tant d’années, apparaissait bel et bien au sein des dépêches accolé à la mention de « nouveau président de l’Union Africaine ». Un quasi-oxymore rédactionnel tant cette nouvelle nous a parue énorme et aberrante. Robert Mugabe a quatre vingt onze ans. Il est ce chef d’état cacochyme, très largement discrédité dans le monde entier, inefficace à régler les crises rencontrées, et très généralement, c’est un autocrate bourré de principes éculés. Il est, certes, encore populaire en Afrique, mais il a mené par son intransigeance et sa rigidité intellectuelle, son pays au marasme économique, avec une inflation dévastatrice et une politique répressive digne des pires dictatures.



Il arrive à la tête du pouvoir africain à la faveur de plusieurs crises majeures qui ont gravement fragilisé la cohésion du continent et menacé ses équilibres politiques. C’est la cas d’Ebola, qui a fait plus de 9000 morts, principalement en Sierra Leone, au Liberia et en Guinée, mais qui s’est également révélée dévastatrice au plan économique pour l’ensemble de la sous-région ouest-africaine. A l’heure où l’épidémie reflue enfin, l’Union africaine doit rester vigilante pour assurer une sortie de crise avant la fin de l’année. La menace de Boko Haram est bel et bien avérée et appelait une prise de conscience et une véritable réaction. Celle-ci est finalement au rendez vous, avec la mobilisation de 7500 soldats destinés à lutter contre la secte des extrémistes du Nigeria. La décision du Tchad d’entrer en force au Cameroun probablement précipité cette avancée. Mais le continent connait encore beaucoup de crises militaires, voire de réelles guerres. Hormis la Libye, qui tient la communauté onusienne en éveil avec les récentes discussions de Genève, l’Afrique est confrontée à des conflits au Mali, au République démocratique Congo, au Sud Soudan, en Centrafrique, et les affrontements ne se limitent pas à ces pays. Cette situation politique a contribué à déstabiliser et faire douter l’Union africaine elle-même.



Elle qui représente l’un des principaux espoirs de stabilité et de prospérité en Afrique, met à sa tête un homme qui a été largement incapable d’assurer en son temps l’une ou autre, et représente déjà une déception pour des millions d’africains qui voient d’un mauvais œil un vieil autocrate arriver à la barre d’un continent en pleine tempête. A tel point que le réseaux sociaux sont pleins de ces commentaires déçus et que certains leaders affirment que ceux-ci doivent être davantage contrôlés. Or, cette liberté est précieuse. Elle est garante de l’établissement d’un climat médiatique sain et elle permettra à la vérité de progresser, ce qui peut s’avérer devenir une bonne chose.



L’Union aurait besoin d’un capitaine chevronné, jeune, intelligent, énergique, d’un véritable génie, capable de donner une impulsion durable aux secteurs économiques du continent. L’Afrique a tant souffert qu’elle a grand besoin de résilience et, pour cela, besoin de porter à sa tête les meilleurs leaders possibles. Elle doit à tout prix éviter de s’enferrer dans une surenchère idéologique avec le reste du monde. Mugabe n’étant pas autorisé à voyager en Europe, on se demande déjà qui représentera l’Union, lors des sommets mondiaux, notamment sur le climat qui est aujourd’hui devenue une priorité essentielle. L’Afrique doit prendre le train de la croissance verte, tant sont porteuses les opportunités qui se créent, et pour cela il ne faut pas rester dans des considérations énergétiques dépassées.



Nous sommes à l’aube de grands changements et nous ne pouvons pas nous payer le luxe de nommer des hommes qui risquent de faire échouer un projet  politique essentiel pour l’Afrique. Mugabe court le risque d’être très vite dépassé par les événements. Ce danger est réel et il menace déjà la cohésion de l’Union africaine. Les discours auxquels on assiste sont effectivement décevants et contre-productifs. Les leaders qui ont pris cette décision, un peu pour braver le discours de Ban-Ki-Moon qui critiquait les changements constitutionnels en cours, comme au Burina Faso, avec les conséquences que l’on sait, se sont gravement fourvoyés. Ils envoient en première ligne un personnage qui risque de faire dangereusement échouer les missions qui lui ont été confiées. C’est la raison pour laquelle tous les défenseurs sincères de l’Afrique sont ce soir consternés. Kofi Annan twittait cet après-midi un message qui résonne ce soir comme un avertissement clairvoyant : "The story of #Gandhi is a powerful reminder that when leaders fail to lead, people will make them follow..."

30 Janvier 2015

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