Médicaments contrefaits : un problème de santé en Afrique
Par Jocelyne Sambira




L’ampleur des profits et la légèreté des peines alimentent la criminalité.

Certains individus mal intentionnés n’ont aucun mal à transformer un morceau de craie, un peu de farine ou d’amidon en un comprimé ou une pilule. Difficile de dire à l’œil nu s’il s’agit d’un « faux ». L’étiquetage et l’emballage sont souvent imités à la perfection. Le commerce mondial de médicaments de contrefaçon, qui pèse un milliard de dollars, se porte bien en Afrique. Les médicaments contrefaits et de mauvaise qualité inondent les marchés. Se rendre à la pharmacie, c’est un peu jouer à la roulette russe. Choisir la mauvaise boîte peut vous coûter la vie.
En Afrique, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), près de 100 000 décès par an sont liés au commerce de médicaments contrefaits. Le groupe de réflexion britannique International Policy Network estime que les faux antituberculeux et antipaludiques sont à l’origine de 700 000 décès par an dans le monde, l’équivalent de « quatre avions gros-porteurs remplis de passagers s’écrasant chaque jour ».

Pour l’OMS, un médicament contrefait est « un médicament dont l’identité et/ou l’origine est délibérément et frauduleusement falsifiée », qu’il s’agisse de produits de marque déposée ou de génériques. Dans certaines régions d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, plus de 30 % des médicaments vendus sont des contrefaçons, indique l’OMS.



D’après une étude publiée en 2012 par The Lancet, la détection est maintenant plus difficile, en raison de « la plus grande habileté des contrefacteurs à reproduire les hologrammes et autres procédés d’impression complexes ». Certains vont même jusqu’à ajouter des ingrédients actifs qui satisfont au contrôle de qualité sans procurer aucun effet bénéfique au consommateur.

Roger Bate, économiste spécialisé en politiques sanitaires internationales, considère que les médicaments de qualité insuffisante, résultant d’une mauvaise fabrication ou d’un laxisme délibéré, constituent un problème de santé bien plus grave que les faux médicaments. « Les médicaments en vente libre fabriqués par des sociétés chinoises et, dans une moindre mesure, indiennes, s’avèrent de qualité inégale lors des contrôles de qualité », déclare-t-il.

M. Bate juge également les « mauvais » médicaments responsables de l’augmentation de souches pharmacorésistantes de maladies telles que la tuberculose. Dans sa dernière étude, publiée dans l’International Journal of Tuberculosis and Lung Disease, plus de 700 échantillons des deux principaux antituberculeux prélevés au hasard ont été analysés par des laboratoires privés. Globalement, 9,1 % des échantillons testés dans le monde étaient de qualité insuffisante lors de tests de base. Ce taux était de 16,6 % en Afrique, soit environ une pilule sur six.
De son côté, Ashifi Gogo, directeur général de Sproxil, société de protection des marques pour les marchés émergents, explique « qu’il ne s’agit pas seulement d’un problème de médicaments de contrefaçon produits en Orient et expédiés en
Afrique ». La montée en puissance des fabricants africains contribue également au problème à son avis.

Crime contre l’humanité



La prolifération de médicaments contrefaits, falsifiés ou de qualité insuffisante a des conséquences tragiques. « La contrefaçon n’est pas seulement un acte criminel », écrit le Professeur Pierre Ambroise-Thomas, expert de l’OMS en paludisme et parasitoses tropicales, dans le Mediterranean Journal of Haematology and Infectious Diseases. « Le terme d’homicide convient parfaitement, quoique certains préfèrent parler de meurtre. »

Malheureusement, les sanctions ne sont pas assez lourdes pour être dissuasives, soulignent les chercheurs Gaurvika Nayyar et Joel Breman dans un rapport de juin 2012 publié dans Lancet Infectious Diseases. En Ouganda en 2009, un raid mené par Interpol et IMPACT (Groupe spécial international anti-contrefaçon de produits médicaux, soutenu par l’OMS) a ainsi conduit à la découverte de cinq tonnes de faux médicaments dans le centre et l’est du pays. Dans un rapport de l’AEI, Fred Kiyaga, à l’époque responsable d’Interpol Ouganda, indique que seules cinq personnes ont été déclarées coupables et condamnées chacune à une amende de seulement 520 dollars. MM. Nayyar et Breman souhaitent vivement que la « production et la distribution d’antipaludiques contrefaits fassent l’objet de poursuites à titre de crime contre l’humanité ».

Réglementation et homologation insuffisantes

En juillet dernier, une importante opération de ratissage de 16 ports maritimes des côtes est et ouest de l’Afrique a permis à l’Organisation mondiale des douanes (OMD) de saisir plus de 82 millions de doses de médicaments illicites, d’un montant total de plus de 40 millions de dollars, dont du sirop antitussif, des antiparasitaires et des antipaludiques, ainsi que des antibiotiques et des contraceptifs.

Mais les organismes de réglementation nationaux pâtissent souvent d’un manque de formation et de personnel et de la corruption. En outre, les inspecteurs autorisent fréquemment l’entrée de faux médicaments en échange de pots-de-vin.

L’OMS aide les pays à acquérir les compétences nécessaires pour réglementer les médicaments. L’homologation pharmaceutique, ou autorisation de mise sur le marché ou avis de conformité du produit, ne doit être accordée qu’après une évaluation approfondie de l’innocuité d’un médicament. La fabrication, le stockage et la distribution doivent également suivre des directives strictes. Les médicaments ne peuvent sinon pas être commercialisés.

Afin d’accélérer l’homologation, l’OMS encourage les organismes nationaux à choisir des médicaments dans sa liste de produits présélectionnés. Chaque pays doit cependant décider d’homologuer ou non un produit.

Seloi Mogatle, responsable de l’homologation des médicaments au Botswana, a déclaré à l’OMS qu’elle appréciait « la possibilité d’utiliser les travaux réalisés par l’organisation sans restriction de l’autonomie nationale ». Mais selon M. Bate, chercheur résident auprès de l’AEI, cela ne suffit pas. Dans une publication de la revue FiercePharma Manufacturing, il a expliqué que « les sociétés fabriquant des médicaments pour les programmes de l’OMS en Afrique fabriquent des produits de qualité insuffisante ». Pour y remédier, il recommande que « l’OMS élimine après trois infractions les sociétés produisant des médicaments de faible qualité ».


Une Pilule Miracle ?

Des médicaments onéreux

Autre faiblesse importante : l’incapacité des organismes de réglementation à éliminer ce que Olike Chinwendu, dans sa thèse sur la lutte contre les faux médicaments au Nigéria, appelle le « commerce chaotique des médicaments ». Il s’agit notamment des personnes qui vendent des médicaments sans en avoir l’autorisation, dans la rue, dans des kiosques ou sur des marchés.

Dora Akunyili, ancienne directrice de l’Agence nationale pour l’administration et le contrôle des produits alimentaires et pharmaceutiques, a durant huit ans combattu l’industrie de la contrefaçon au Nigéria. Après avoir perdu sa sœur à cause d’une dose d’insuline contrefaite, la mission lui tenait à coeur. Elle a renvoyé des fonctionnaires corrompus, mis sur liste noire plus de 30 fabricants et mené des opérations contre les marchés de médicaments à ciel ouvert. Entre 2001 et 2005, la part de faux médicaments en vente est passée de 40 à 16,7 %. Ses ennemis ont violemment riposté, en incendiant les laboratoires de l’agence, en essayant d’enlever son fils et en tirant des coups de feu sur son véhicule.
Mais « saisir, détruire et sanctionner les contrevenants » n’a pas éradiqué le problème, selon Mme Chinwendu, qui vante les mérites des stratégies de la Tanzanie et du Ghana : former, réglementer et homologuer les vendeurs de médicaments en situation irrégulière plutôt qu’interdire leurs activités.

Le coût des médicaments est un facteur déterminant pour les consommateurs africains, car la plupart en paient eux-mêmes le prix intégral. Pour beaucoup, les produits vendus dans les pharmacies agréées sont d’un coût inabordable. D’après une étude de l’OMS et de la Health Action International (HAI), « les droits, les taxes, les marges, les coûts de distribution et les frais d’exécution d’ordonnance sont souvent élevés, de l’ordre de 30 à 40 % du prix de détail, et parfois jusqu’à 80 % ou plus ».

En ce qui concerne les traitements de première intention, les gens continueront à se fournir dans les points de vente les moins chers, observe Mme Chinwendu.



Des médicaments protégés par SMS

Si l’éducation des consommateurs a joué un rôle capital dans la lutte contre les médicaments contrefaits, la coordination régionale a également été efficace. Le Nigéria et le Cameroun se sont récemment engagés à partager leurs expériences et leur expertise technique dans la lutte contre les faux médicaments.

En Afrique de l’Ouest, les responsables des services de santé et de l’application des lois mènent des opérations sur le terrain, en collaboration avec l’OMS et Interpol, afin de démanteler les réseaux criminels transnationaux de faux médicaments. Leur dernière opération, Cobra, a permis de saisir en 2011 170 tonnes de produits médicaux illicites et contrefaits.

La Chine, fabricant mondial de médicaments génériques qui produit l’artémisinine, antipaludique reconnu, se joint également à ces efforts. Selon l’agence de presse Xinhua, la Chine place actuellement « un dispositif d’identification et de traçabilité sur ses médicaments » et des étiquettes anti-contrefaçon sur chaque emballage. Les établissements pharmaceutiques chinois renforcent également la coopération avec les gouvernements et distributeurs pharmaceutiques africains afin d’identifier l’origine des médicaments importés.

Une nouvelle technologie est par ailleurs en train de révolutionner la lutte contre la contrefaçon en Afrique. Il s’agit de TruScan, un spectromètre portable utilisé dans les aéroports et les postes frontaliers pour analyser la composition chimique des médicaments, ce qui permet de détecter les « mauvais médicaments » en quelques secondes.

En outre, des SMS gratuits permettent de vérifier l’authenticité des médicaments. Grâce à de nouvelles entreprises, mPedigree Network et Sproxil, les fabricants pharmaceutiques homologués peuvent faire figurer sur leurs emballages un code crypté. Les consommateurs n’ont qu’à gratter l’étiquette de l’emballage et envoyer gratuitement le code par SMS à la société qui gère le système. La réponse, envoyée instantanément, informe le consommateur de l’authenticité du médicament.
Des pays comme le Ghana, le Nigéria et le Kenya ont intégré à leur réglementation le système de vérification par téléphonie mobile. Ce système est aussi adopté en Asie. Les consommateurs ont ainsi les moyens de se protéger. Mais surtout cette innovation rudimentaire contribue à rétablir la confiance du public dans le secteur de la santé.
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10 Novembre 2012

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