La santé en Afrique : pourquoi la France et l’Europe devraient être plus engagées
Par Dominique Kerouedan




L’Afrique est le continent où la situation sanitaire et sociale est la plus préoccupante et la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement la plus lente. L’accès à l’aide mondiale en faveur de la santé est complexe du fait de sa mobilisation au travers de nouveaux mécanismes de financement : les partenariats publics privés mondiaux ou les financements dits innovants. Notre propos est de montrer en quoi l’efficacité de cette aide, de plus en plus volumineuse, passe par une répartition plus équitable entre les pays d’un même continent, ou entre malades présentant des pathologies différentes, des ressources financières et de l’expertise technique, ainsi que par une allocation plus rationnelle des financements qui serait davantage fondée sur des critères plus objectifs tels que les données épidémiologiques, l’efficience des interventions choisies, les données de population, etc. Nous pensons que l’insécurité alimentaire y compris dans les villes, les inégalités d’accès aux financements mondiaux de l’aide en santé, combinées à la croissance démographique sans précédent en Afrique, et aux retentissements de la crise économique et financière mondiale, mettent en péril la stabilité politique de l’Afrique francophone. Pour éviter que la situation ne se détériore davantage, la France et l’Europe, qui ont une responsabilité historique à l’égard de cette région du monde, doivent veiller à ce que les ressources humaines et financières, allouées aux initiatives mondiales, aux dépens de l’aide bilatérale, bénéficient aussi aux personnes les plus démunies d’Afrique francophone.

Le rôle de la France en faveur de la santé en Afrique s’inscrit dans le prolongement de l’histoire coloniale du Service de santé des armées et du dispositif bilatéral du Ministère de la Coopération aux lendemains des indépendances jusqu’à la fin des années 1990. Construction et équipement d’hôpitaux et de dispensaires, formation des personnels de santé, lutte contre les grandes endémies, envoi de médecins et assistants techniques français de toutes spécialités, projets de recherche clinique et en sciences sociales, sont autant d’activités très attendues et appréciées des populations et des autorités sanitaires des Etats d’Afrique francophone tout au long de cette période. En y envoyant ses femmes et ses hommes, aguerris de la pratique de la médecine tropicale ou administrateurs de la santé, la France cultive pendant quatre décennies la collaboration institutionnelle mutuelle indispensable au renforcement des capacités nationales du secteur public comme de la société civile. Depuis le début des années 2000, la réforme du dispositif français de la Coopération s’accompagne du recul très net de l’aide bilatérale, y compris de l’assistance technique, et du basculement des financements du gouvernement au bénéfice d’initiatives mondiales dont les programmes sont pilotés à distance, souvent depuis Genève.



En discutant  à Okinawa en 2000, l’année de la Déclaration du Millénaire, et en le confirmant l’année suivante à Gênes, sous l’impulsion du Secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan, l’Africain, les dirigeants du G8 répondent présents sur l’agenda des pandémies qui tuent six millions de personnes par an à elles trois : le G8 décide de créer un Fonds Mondial en faveur de la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. La même année, la Session spéciale de l’Assemblée générale des Nations Unies déclare le sida question de sécurité internationale, pendant que les chefs d’Etats de l’Organisation de l’Union Africaine réunis à Abuja, toujours en 2001, s’engagent à consacrer au secteur de la santé 15% des budgets publics et signent la Déclaration d’Abuja.

Dix ans plus tard, il est plus que jamais capital de relever les défis : la population du continent va doubler d’ici à 2050 et les questions de sécurité alimentaire ne sont pas isolées. L’Afrique à l’échelle mondiale, c’est 25% de la charge de morbidité, 3% des personnels de santé et 1% des ressources économiques. Plusieurs rapports annoncent une croissance africaine forte d’ici à 2015. Certes, mais l’Afrique reste au ban de la mondialisation et les Objectifs du Millénaire pour le Développement ne seront pas atteints ici. Par ailleurs qui bénéficie de cette croissance? Comment prévenir les très fortes inégalités qui l’accompagnent et saisir plutôt l’opportunité de créer un socle de protection sociale comme l’a recommandé la Commission Bachelet au sommet du G20 de Cannes en novembre 2011 ?



La situation sanitaire du continent se résume comme suit : près de 70% des malades atteints de sida dans le monde, plus de 90% des orphelins de sida, et, plus important en termes de dynamique de propagation pandémique, c’est sur ce continent que se produisent 70% des nouvelles infections à VIH. L’incidence de la tuberculose continue d’augmenter à l’échelle mondiale, du fait de l’augmentation du nombre de nouveaux cas en Afrique. C’est encore ici que se produisent plus de 80% des cas de paludisme du monde, et que le paludisme tue le plus grand nombre d’enfants et de femmes enceintes. L’Afrique c’est aussi 50% des morts maternelles et infantiles : la mortalité des femmes enceintes ou qui accouchent bât les records, la mortalité par avortement y est la plus élevée. Ce n’est pas tout. Les maladies respiratoires et cardiovasculaires, le diabète, le cancer mettent au défi les autorités et les populations, pour la très grande majorité dépourvues de couverture du risque maladie, de minimiser les dépenses de santé au fur et à mesure que l’urbanisation s’accompagne de l’adoption de comportements à risques (sédentarité, tabagisme, alcoolisme, etc.). La pénurie des personnels soignants y est plus aiguë que partout ailleurs, puisque selon l’OMS, sur les 4 millions de personnels de santé manquants à l’échelle mondiale, il en manque 1 million sur le seul continent africain.



Croissance démographique sans précédent, insécurité alimentaire, mortalités maternelle et infantile les plus élevées, maladies infectieuses, maladies chroniques, santé mentale, accidents de la voie publique, ni assurance maladie ni protection sociale pour la plupart, pénurie de personnels de santé, effets de la crise économique et financière mondiale : comment répondre à des enjeux aussi complexes qu’intriqués aux effets dévastateurs sur le bien-être et le développement économique et social du continent?

Les réponses nationales, française et européenne, actuelles ou en préparation, sont modestes : seuls six Etats des 53 du continent ont atteint l’objectif d’Abuja dix après la conférence. A l’aide bilatérale classique, la France privilégie depuis plusieurs années le financement de partenariats public-privé mondiaux et le développement de financements innovants, autant de mécanismes pilotés à distance du terrain, ce qui appelle un certain nombre de précautions discutées plus loin. Comme le déplore la Cour des Comptes européenne en 2009, la part que le Fonds européen de développement consacre au secteur de la santé décroît tout au long de la décennie 2000-2010. C’est environ 3% du 10ème FED qui bénéficie au secteur de la santé des Etats d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique sous l’Accord de Cotonou, ceux-là même (l’Afrique) qui enregistrent les progrès les plus lents en vue de la réalisation des OMD de la santé. La Commission européenne n’a pas démontré que l’aide budgétaire globale, instrument de financement du développement privilégié tout au long de la décennie, contribue à améliorer la performance du secteur de la santé des Etats ACP, ou parvient même à renforcer les systèmes de santé, même lorsque les mécanismes de décaissement sont incitatifs. C’est le Royaume Uni qui traduit en financements, en opérations et en expertises équilibrées bilatérales et multilatérales, une volonté politique forte en faveur du développement sanitaire…des pays d’Afrique anglophone.



A l’échelle mondiale les volumes de financements en faveur de la santé ont certes augmenté en valeur absolue ces dernières années, du fait de la contribution spectaculaire des Etats-Unis, au travers de la Fondation Bill et Melinda Gates et du Programme PEPFAR (US President Emergency Programme for AIDS Relief), qui visent à financer respectivement l’achat de vaccins et des programmes de prise en charge du sida (peu la prévention). Dix ans après sa création, le Fonds mondial a engagé près de 22 milliards de dollars, au travers de 600 subventions dans 150 pays. Si l’on regroupe les dons de la Commission européenne et des Etats membres, l’Union européenne est le plus gros donateur au Fonds Mondial. En lui donnant 360 millions d’euros par an, la France figure dans le peloton de tête des bailleurs à ce Fonds. Au G8 de Muskoka en 2010, alors que le Secrétaire général des Nations unies Ban Ki Moon lance la Stratégie mondiale pour la santé de la femme et de l’enfant, la France annonce une contribution de 500 millions d’euros sur les cinq prochaines années.

Pour faire face aux défis décrits plus haut, et aux besoins croissants de demain, dans un contexte de crise financière mondiale, où l’aide va diminuer, « less money, more needs », il est plus que jamais impératif de garantir l’efficacité et l’impact de ces financements.



Au-delà des apparences, un certain nombre de questions se posent :

La santé n’est pas une priorité des politiques de développement

Détrompez-vous, la santé n’est pas une priorité, ni des Etats en Afrique ni des institutions de coopération au développement. Une quarantaine de gouvernements du continent dépensent moins de 40 dollars per capita sur la santé, pendant que Jeffrey Sachs, président de la Commission Macroéconomie et Santé sous l’égide de l’OMS, propose dès 2002 un seuil de 40 à 50 dollars de dépenses de santé per capita pour garantir une offre minimale de soins de santé. Du côté de la communauté internationale, le traitement des malades atteints de sida a retenu l’attention des bailleurs, de même que la vaccination des enfants, même si tous les patients et les enfants éligibles n’en bénéficient pas, faut-il le rappeler ? Pendant ce temps les systèmes de santé, dont l’approvisionnement et la distribution des médicaments, la formation et la gestion des carrières des soignants, les systèmes d’information sanitaire ou d’alerte épidémique, etc. n’ont pas bénéficié de la même attention, générant des déséquilibres maladies-systèmes, et générant surtout, ce qui est moins discuté, une iniquité entre les malades qui est tout à fait préoccupante du point de vue éthique et déontologique: par les temps qui courent, mieux vaut être atteint de sida ou de tuberculose que de méningite ou de fièvre typhoïde; ne parlons pas de cancer.



De façon plus générale, en dehors des risques épidémiques, considérés comme les vraies menaces, la santé n’intéresse pas les responsables politiques : invités à une « concentration sectorielle » lors de la programmation des conventions de coopération avec leurs partenaires sur le continent, les ambassadeurs de France et de l’Union européenne, pour la plupart, ne choisissent pas le secteur de la santé. Perçu comme opaque, il y est difficile de montrer des résultats, les médecins ne sont pas des personnalités faciles avec qui travailler, l’absorption des ressources y est lente, les capacités managériales sont faibles, etc. la demande des ministres des finances sur place n’est guère plus motivée.

La volonté politique se mesure à l’aune de l’expertise formée et mobilisée, pas seulement en termes financiers. L’argent sans expertise (nationale ou internationale) ne porte en soi aucun potentiel d’efficacité. C’est particulièrement vrai en santé où les résultats et la qualité des interventions vont de pair. Or dans les années 2000, le gouvernement français et la Commission européenne ont choisi de ne plus recruter directement l’expertise technique en faveur de ce secteur du développement, et de réduire considérablement les budgets alloués à l’expertise en général. Que ce soit dans les représentations de leurs institutions respectives sur le terrain, auprès des autorités sanitaires du pays aux niveaux national, régional ou départemental, ou encore auprès des décideurs des grandes instances internationales, l’expertise française en santé et développement est quasi absente. Elle est devenue rare et sa compétence inadaptée aux évolutions considérables de l’architecture de l’aide internationale de ces dix dernières années. Où l’expertise française et européenne sont-elles formées? Qui prépare les jeunes à contribuer au développement sanitaire des pays du Sud dans un avenir proche et sur le long terme? Du point de vue français, le champ de l’« international » ne se résume-t-il pas tout au plus à ce qui se passe dans l’hémisphère Nord? Le champ du développement intéresse-t-il les Français, les européens à la hauteur des enjeux? Au pays de Descartes, Montesquieu et de Montaigne, où réfléchissons-nous sur les plus grands défis mondiaux contemporains et à venir, tels les « think tanks » anglosaxons?



L’intérêt de l’opinion peut être suscité et la volonté politique se construire dans le temps. Elles passent par l’éducation par les parents, par des enseignements ou des conférences dès le plus jeune âge à l’école, autant que par la sensibilisation et la formation des futurs responsables politiques (grandes écoles, universités, Ecole Nationale d’Administration) ici et ailleurs. Elle s’inscrit dans un projet de société qui prépare à l’ouverture au monde. Se départir du spectre de la Françafrique, distinguer les fondements et les objectifs des politiques de développement et de migration, réduire la distance et la déconnexion, encourager la rencontre de proximité entre nos peuples, provoquer des échanges mutuels sur les réalités et le vécu, mettre les jeunes au travail et financer le voyage solidaire, de part et d’autre, donner la parole à la société civile d’Afrique, serait certainement plus efficace à bâtir des sociétés qui apprennent à se connaître, se soutenir et s’intégrer. Que faisons-nous dans cet esprit? Nos élus se saisissent-ils de ces problématiques, de ces questions de société? La volonté politique se nourrit de ce que veulent les peuples. Les jeunes sont prêts, aucun dispositif ne favorise la mobilisation de leur curiosité, de leurs énergies et de leurs compétences au service d’un partenariat avec leurs pairs en Afrique. Les barrières douanières sur les marchandises sont plus faciles à enlever que tout ce qui fait obstacle à la circulation des personnes entre nos pays, que ce soit du sud au nord (visa) ou du nord au sud (pas de dispositif institutionnel ni de financement). Il en résulte une méconnaissance du terrain qui ne peut que nuire à ce qui inspire les politiques du développement, tant en France qu’à la Commission européenne qui prépare sa politique de développement 2014-2020.



Le recours aux financements innovants : est-ce pertinent?

Depuis la Déclaration du Millénaire, sous la pression de réaliser les OMD d’un côté, et de l’incapacité des Etats de l’OCDE à tenir leurs engagements relatifs à augmenter l’APD de l’autre, des mécanismes innovants de financement du développement ont été imaginés. Leur efficacité est compromise, non pas tant par les détournements de fonds, somme toute modestes, que par le manque de vision stratégique, nationale ou internationale, sur le comment utiliser au mieux ces financements, question que se posent les autorités politiques et administratives sur le terrain. Il est plus facile de commenter des faits de corruption ponctuels que de s’interroger sur la pertinence et l’efficience de l’utilisation des ressources dans leur ensemble. Le risque de détournement de fonds est inhérent au champ du développement pour toute une série de raisons nous dit Paul Collier, notamment parce que coopérer implique par nature une confiance réciproque ajouterais-je. La corruption n’est pas tolérable pour autant, mais il ne peut y avoir de risque zéro dans ce domaine. Et surtout ce débat ne doit pas masquer des sujets beaucoup plus importants en termes d’efficacité et d’impact attendu dans le long terme. Pour ne citer que cet exemple, n’y a-t-il pas un devoir moral tout aussi pressant de s’intéresser à l’efficacité stratégique et à l’impact de 22 milliards de dollars mobilisés par le Fonds Mondial, qu’à dénoncer l’utilisation détournée de quelques millions de dollars dans une poignée de pays? A mettre l’institution Fonds Mondial sous une telle pression, ce sont les pays récipiendaires qui reçoivent la pression. Par là, nous contribuons à accroître davantage la vision managériale du développement, tout en continuant à ne pas susciter une réflexion stratégique fondée sur la recherche et les dynamiques locales, nous amenant à sélectionner des interventions efficaces, à parvenir au résultat « zéro infection VIH », « zéro tuberculeux », « zéro mort par paludisme ». L’Onusida nous informe que pour 2 personnes mises sous antirétroviraux, 5 nouvelles infections à VIH se produisent: trente ans après le début de la pandémie de sida, nous restons dépassés. Reconnaissons-le et réfléchissons à ce qui pourrait être mieux fait à l’avenir.



En dehors des achats (de médicaments, de vaccins, d’infrastructures, d’équipements, d’expertise) comment s’assure-t-on de l’efficacité des interventions financées en faveur de la santé? La prévention du sida est un bon exemple à étudier, comme le sont toutes les interventions qui visent au changement de comportement pour une meilleure santé. La complexité de la question est universelle. Dans un paysage de plus en plus dominé par les maladies chroniques, la question du changement de comportements et de tout ce qui va les formater est cruciale. C’est sans doute le domaine le plus ingrat de la santé publique, et le moins documenté : qu’avons-nous appris de trente ans d’échec de la prévention de la transmission sexuelle du sida en Afrique? Que retenons-nous de toutes ces années d’éducation pour la santé des femmes et des enfants? Que le déterminant le plus puissant de la santé des enfants est le niveau d’instruction des mères. Qu’avons-nous appris en Europe des campagnes anti-tabac? Que faisons-nous de la banalisation par les jeunes de comportements qui les mènent tout droit à l’addiction à l’alcool? Qu’est ce qui marche dans ces domaines? Comment les milliers d’expériences latino-américaines circulent-elles en Asie et en Afrique? Et surtout comment tout ceci est-il transmis, synthétisé, utilisé par les responsables politiques?



La pratique de l’évaluation s’est considérablement développée au cours de la décennie. En soi l’évaluation a deux fonctions: rendre compte de l’utilisation de fonds (publics le plus souvent) et tirer des leçons de l’expérience. Les politiques et les opérations des aides française et européenne en santé ont fait l’objet de nombreuses études et évaluations. Pour quelle utilisation par les responsables politiques autant que par les administrateurs ou même les professionnels? En France c’est à se demander si le gouvernement ne commandite pas une étude ou un rapport pour mieux évacuer le sujet. Le turn-over des responsables politiques n’aide pas : les leaders ne s’intéressent pas aux sujets de leurs prédécesseurs, auxquels ils continuent pourtant d’être confrontés.

Le manque de capitalisation des savoirs et des acquis, et le manque de valorisation des expériences, participent de la perte de mémoire institutionnelle et professionnelle: les jeunes prennent la relève là où nous avons commencé. Ici réside sans aucun doute, aux côtés de l’absence de volonté politique et de la carence d’expertise, une des clés de la compréhension de l’inefficacité, voire de l’échec dénoncé des politiques de développement. D’une approche financière du développement, passons à une approche stratégique pertinente et efficiente, qui devrait s’imposer dans un contexte de crise et de compétition accrue de secteurs candidats aux financements mondiaux. Pour évaluer ces mécanismes innovants, ne confondons pas la performance et l’efficacité : des opérateurs peuvent être très performants à mettre en œuvre des stratégies inefficaces, au sens où malgré tout ce qui aura été fait et produit, elles n’auront qu’un impact limité sur la morbidité et la mortalité et sur le bien-être des populations.



L’équité d’accès des populations africaines aux financements des initiatives mondiales en faveur de la santé

Non seulement les promesses faites par le G8 réuni à Gleneagles en 2005, de doubler l’aide à l’Afrique, n’ont pas été tenues, mais l’APD a augmenté depuis partout sauf en faveur de l’Afrique. Dans le domaine de la santé, où va tout cet argent mobilisé à l’échelle mondiale dont les montants ont été multipliés par 4 entre 1990 et 2007? Une étude de l’Institute for Health Metrics and Evaluation basé à Seattle1, rejoint des observations antérieures en montrant, sans surprise, que la répartition de l’aide au développement en faveur de la santé est loin de répondre à des critères objectifs tels que les données épidémiologiques, les données de population, de charge de maladie, ou de coût-efficacité des interventions financées. Il va de soi que les priorités de l’aide des pays riches suivent davantage des critères de nature politique, géopolitique, économique ou de sécurité, parfois même pas. Nous en déduisons qu’elle serait, par nature, inéquitable. Est-ce acceptable? Est-ce efficace du point de vue de la prévention et de la prise en charge des risques sanitaires à l’échelle mondiale? Peut-on se permettre en Afrique le luxe d’une aide au développement qui ne soit pas fondée?



Des analyses existantes sur la répartition de l’aide publique au développement, il semble que les secteurs de la santé des pays d’Afrique francophone, notamment les plus pauvres, ceux du Sahel, n’aient pas, tout au long de ces dix dernières années, bénéficié de manière égale et équitable, des financements du Fonds européen de développement et de ceux du Fonds Mondial, financés très largement par la France sur les deniers des contribuables, et pourtant destinés, par mandat, aux plus démunis. Cette hypothèse mérite d’être étudiée plus avant si les résultats en termes sanitaires dépendent pour partie de l’efficacité et des volumes de financements alloués, comme nous l’observons dans plusieurs pays d’Afrique de l’est et australe, où le Royaume Uni, les Etats Unis, les fondations américaines privées, additionnent leurs aides massives en faveur du secteur de la santé, en même temps que ces institutions envoient sur le terrain de nombreux experts, avec pour effet des indicateurs de santé qui s’améliorent.

Il serait important de mener une étude dans les pays du Sahel en particulier, où les aides bilatérales française, allemande et européenne se sont progressivement retirées au cours de ces dix dernières années, sans que les Etats ou des financements alternatifs ne s’y soient substitués en faveur du renforcement des systèmes de santé. La question est d’autant plus cruciale que l’insécurité risque d’aggraver davantage l’iniquité.



De façon tout aussi préoccupante, l’iniquité concerne l’accès aux savoirs, pour deux raisons : d’une part les échanges de connaissances sont facilités à l’échelle globale (entre Bruxelles, Genève et Washington par exemple). Il est beaucoup plus difficile de trouver des financements pour financer des formations, des colloques ou des rencontres scientifiques Sud-Sud ou Nord-Sud. A quoi cela mène-t-il de discuter, souvent sans eux, des problématiques des acteurs du Sud, entre nous à l’échelle globale, ce qui se produit de plus en plus souvent entre personnes qui ne connaissent ni le secteur ni la zone géographique dont ils parlent? D’autre part, les informations, les directives, les connaissances, les débats en ligne, les cours en ligne, des rapports d’évaluation, sont diffusés, pour la très grande majorité, exclusivement en anglais. Si nous anglophones, avec quelques-uns dans les capitales africaines de l’ouest et centrale, sommes enrichis de ces lectures et de ces échanges réciproques entre la communauté scientifique et les acteurs de terrain, pourquoi en privons-nous une grande part de l’humanité, celle-là même la plus démunie la plus dépourvue, pour qui connaître et savoir aiderait à maîtriser son destin?

Il serait très important de se demander dans quelle mesure ce que nous pourrions qualifier de désintérêt de la communauté internationale en faveur du secteur de la santé de l’Afrique francophone, pourrait, outre l’insécurité alimentaire, être un des facteurs de l’instabilité politique croissante de cette région, tant le retentissement sur le développement économique d’une situation sanitaire et sociale, à la fois désastreuse et injuste, est plausible, même s’il reste à objectiver et à être mesuré.



Une aide sanitaire efficace doit être tout à la fois stratégique, technique, qualitative et financière. Equitable aussi. Il nous semble qu’il relève de la responsabilité des autorités françaises, de s’assurer que les financements qu’elles choisissent désormais de privilégier, contribuent véritablement à faire reculer les pandémies autant qu’à renforcer les systèmes de santé, à faire circuler les savoirs et à former des experts nationaux et internationaux, à développer des capacités et de l’expertise nationales, et contribuent in fine à améliorer la couverture sanitaire, les indicateurs, l’état de santé et de bien-être, autant de facteurs de prévention des conflits et de stabilité.
    

Comme l’écrit Margaret Chan, directrice générale de l’OMS, « Je doute que l’opinion publique ait un jour le pouvoir de changer la marche du monde. Mais je soutiens qu’il ne saurait y avoir d’économie dynamique et de société stable sans un accès équitable aux soins et une plus grande justice en matière de résultats sanitaires. J’irai même plus loin : c’est à l’aune de ces résultats sanitaires que nos progrès, en tant que société civilisée, doivent être mesurés. Aujourd’hui, des millions de personnes continuent à mourir faute de pouvoir se procurer les médicaments, les vaccins et les autres interventions de santé publique dont elles ont besoin. Les raisons de cet échec ne sont pas médicales.



Les véritables causes sont d’ordre économique, social et politique »

Le sujet nous semble mériter un peu d’attention. Comme nous le rappelle Paul Collier3, l’aide au développement ne peut agir de manière isolée. Commerce et gouvernance sont tout aussi essentiels. L’Afrique n’est pas un continent comme les autres au Sud. Ce qui se déroule en Afrique francophone, en termes sanitaire, social et démographique, interpelle les valeurs de la France, de l’Europe et du monde entier. La paix en dépend.



30 Septembre 2012

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