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Comment se met en place le piège de la Méditerranée
L'Etat ivoirien et ses ressortissants en Libye : Quels rapports ?

Par Franck Donald Kehi - Publié le 15/10/2019 à 21:10 | Informations sans Frontières

L'année 2017 a révélé une présence considérable des migrants ivoiriens en Libye.  Selon le rapport de L'OIM, près de 9.000 ivoiriens auraient traversé la Méditerranée pour rejoindre les forteresses européennes en 2017. Propulsé au troisième rang derrière le Nigeria et la Guinée, la Côte d'Ivoire voit ses ressortissants se transformer en des aventuriers professionnalisés, image calqué sur le modèle malien. Face à l'affluence considérable des ivoiriens, l'Etat ivoirien décide de suivre les politiques internationales de lutte contre l'immigration construites par les pays du Nord. Compte tenu de cette posture internationale adoptée par l'Etat ivoirien, comment se renouvelle les rapports entre celui-ci et ses administrés de la Libye? En quoi est-ce que la délocalisation de l'ambassade de la Côte d'Ivoire en Tunisie favorise une absence présente dans la perception des dynamiques de l'immigration clandestine? Dans quelle mesure cette cécité volontariste participe à la construction et au renforcement du néo-piège libyen ?

1. D'une présence absente à une absente présence de l'ambassade de la Côte d'Ivoire en Libye

Aujourd'hui, près de 4.000 ivoiriens vivraient en Libye. Ces ivoiriens sont dans une impasse administrative  compte tenu de l'absence d'une représentation diplomatique. Une écrasante majorité de ces ivoiriens ne disposent pas de passeports encore moins de titres de séjour dans la majorité des cas. Cette absence semble lié à l'historicité des rapports diplomatiques distandus institués entre la Libye et la Côte d'Ivoire.

1.1. Historicité des rapports diplomatiques entre la Côte d'Ivoire et la Libye

- Une philosophie politique opposée : politique capitaliste contre une politique socialiste dans les années 70

Les pays sub-sahariens ont hérité de la politique coloniale en grande majorité.  Celui des pays composant l'AOF et l'AEF vont imiter le processus de continuation de cette politique coloniale française  définie autour de l'aspect capitalisme.  L'accomplissement de ce prolongement aura des chefs de fil. En Afrique occidental française, nous aurons la figure emblématique du père de l'indépendance de la Côte d'ivoire, Felix Houphouët Boigny. Celui de l'Afrique centrale française, nous avons Omar Bongo. Ces différentes figures seront les gardiens du temple du capitalisme francophone africain.

A l'opposé, les pays du Maghreb font le choix du communisme  notamment l'Algérie et la Libye. La politique sociale du régime de Kadhafi et les aléas de la sécheresse des années 70  encouragent l'immigration des peuples sahèlo-sahariens en Libye. Compte tenu de ce choix politique, le régime de Kadhafi  fait montre de sa générosité auprès des pays subsahariens en difficulté économique après la crise économique des années 70 et 80.

- Deux figures politiques en compétition dans les années 80

Cette générosité du régime Kadhafi  camouflant une stratégie de reconnaissance butent sur l'influence  d'une figure principale de la politique Ouest africaine, celle du président ivoirien de l'époque. Ayant différentes visions politique et religieuses, ces deux figures politique des années 80 vont rentrer en compétition pour la lutte des territoires géostratégiques . Cette compétition politique nourrit un désintérêt en termes de collaboration bilatérale. Mais jusque chez le voisin guinéen, la Côte d'Ivoire constate le financement de la mise en place de la télévision nationale gracieusement offerte par le régime Kadhafi. Ce regime contribue aussi activement la prise en charge des treillis  militaires de l'armée guinéenne entre 1978 et 1980. L’énorme présence du régime Kadhafi dans le paysage subsaharien influence  même le quotidien, le langage et les représentations socio-politiques des sub-sahariens.

- Des relations diplomatiques inexistantes dans les années 90

Le début des années 90 est marqué par l'avènement de la démocratie et le décès du premier président ivoirien. Son successeur va procéder à la continuation de sa politique extérieure, tout en modifiant celle de l'intérieur. De l'autre  côté, le régime Kadhafi  sera soumis à un embargo, embargo du à son implication dans l'attentat de Lockerbie.

- Les années 2000 et son cortège de real politik dans la reconstruction des rapports diplomatiques

D'un côté, la Côte d'Ivoire traverse une crise politique à partir de laquelle l'élection du régime Gbagbo à la magistrature suprême divise la Côte d'Ivoire en deux après une tentative de putsh en 2002. Afin de consolider un appui international, le régime Gbagbo multiplie des collaborations diplomatiques avec les pays du continent africain. De l'autre côté, le régime Kadhafi pense à redorer son blason. Ce dernier accepte donc toutes les propositions de partenariats bilatéraux d'autant plus que ce régime est à l'origine de la mise en place de l'UA en 2002. En quête de soutien international, le régime Gbagbo installe une ambassade à Tripoli au début des années 2000.

1.2.L'ouverture de l'ambassade et son mode de fonctionnement irrégulier

"Qu'est ce que vous faites en Libye " propos prononcé par le directeur financier de l'ambassade lors d'une réunion avec la communauté ivoirienne. Tellement encré dans la consciences collective, ces propos du payeur reviennent en boucle dans  les discours des anciens. Ils sonnent comme un creuset créant une distance entre les administrateurs et les administrés. Cette distanciation va s’accentuer encore davantage après l’arrêt du fonctionnement de l'ambassade en 2010.

Une  manifestation s'organise devant l'ambassade. Cette action collective contraint l'Etat ivoirien à repenser sa politique de fermeture et à ses conséquences.  L’année suivante, l'ambassade est remise en service en 2011, suivi d'un arrêt definifif en 2014, année du déclenchement de la guerre  entre les révolutionnaires libyens.

1.3. La crise libyenne et les raisons du refuge de l'ambassade en Tunisie

À l'image des mouvements d'ouverture et de fermeture des ambassades occidentales depuis le déclenchement de la crise libyenne en 2011, les ambassades subsahariennes suivent ce même rythme sauf celles des ambassades dont les pays maintiendraient des liens frontaliers ou religieux notamment le Mali, le Niger, le Tchad, le Soudan ou encore le Nigeria.  Nous avons aussi des pays ayant entretenus des relations de travail s'expliquant par l'envoi d'une main d'œuvre qualifiée introduite dans la sphère de la fonction publique ou dans les services privés telle que celle des Philippines dont l'ambassade reste ouverte.

L'ouverture de ces ambassades facilite la confection ou la mise à jour des passeports de leurs ressortissants.  Mais les ressortissants dont la représentation diplomatique semble inexistante rencontrent d'enormes difficultés dans leur rapport avec les autorités locales. En plus de la résurgence de la logique négrophobique issue de l'histoire esclavagiste locale dont la logique semble être renforcée par la politique européenne de lutte contre l'immigration clandestine, la non disposition de documents légaux achève de fragiliser cette représentation précaire du subsaharien considéré comme  naturellement clandestin et dont la présence apparaît toujours comme  illégitime dans l'espace urbain libyen, par ricochet dans le monde arabe nord africain.

La figure de cet étranger des temps modernes s'encre davantage dans les consciences collectives et même dans l'imaginaire social de ces communautés indexées et discriminées. A travers ses logiques d'autodiscriminisation, certains Etats et chefs de gouvernements des pays subsahariens adoptent des politiques de non assistance apparaissant sous la forme de la délocalisation ou de l'inexistence d'une représentation diplomatique. Celui de la Côte d'Ivoire semble révélateur d'une politique improductive poussant davantage ses ressortissants dans les bras dangereux de la Méditerranée.

- Les moments d'absence de l'ambassade de Côte d'Ivoire en Libye entre 2014 et 2019 sont rythmée par deux présences ponctuelles et sporadiques justifié par des raisons d'ordre personnel et professionnels.

Pour des raisons de mise à la retraite, l'ambassadeur ivoirien exerçant ses fonctions depuis 2013 présente sa lettre de démission à ses pairs à Tripoli au début de l'année 2019. Avant cette présentation , ce dernier présente à la communauté ivoirienne son successeur élevée au rang de consul. A travers un entretien de courte durée, le consul l’informe de la confection prochaine des cartes consulaires. Près de deux mois après, la promesse est tenue. Sur 10 jours, le consul et son équipe essaye de satisfaire les voeux de la communauté. Cette opération séduction à Tripoli procure un goût inachevé et l’espérance d'une normalisation de l'administration aux yeux des ressortissants résidents. Ces présences sporadiques de l'Etat ivoirien poussent la communauté à réactiver timidement son association.
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- Une organisation timide de l'association des ivoiriens vivant en Libye : les anciens profitant toujours de leur statut et les nouveaux jouissant d'une plateforme Whatsapp

Les ressortissants ivoiriens en Libye se sont dotés d'une association apparaissant comme le relai de la volonté de ses membres auprès de son ambassades et des autres communautés sœurs. Dénommée ARCIL, elle se désactive à l'issu du décès de son président, lui même victime de la méditerranée lors d'une traversée en 2014. Comme un symbole, ses successeurs s'en servent  pour maximiser leur réputation auprès des institutions. Peu instruit et trempant dans des affaires louches en lien avec le métier de passeurs et d'abus de confiance, l'adjoint du président décidera de rentrer en Côte d'Ivoire.  Quand aux autres, ils poursuivront leur affaire à travers leur reconnaissance toute faite depuis des lustres auprès des instances administratives et politiques notamment des ONG et organisations militant pour le bien-être des migrants.

Quand aux nouveaux migrants, ils optent pour une mise en place d'une plateforme Whatsapp. Ce regroupement virtuel favorise le renforcement des relations entre les siens et permet de s'informer sur la situation politique et humanitaire.  La dictature de la jeunesse et l’emploi de langages grossiers poussent les aînés et certaines filles à se retrancher, soit dans le silence, soit à se désactiver. La masculinisation de l'espace public libyen occasionnant l'impossibilité d'échange entre différents sexes poussent les garçons de la plateforme à relever les numéros des jeunes filles afin de tenter d'activer des relations plus intimes. Par le moyen des appels téléphoniques, certains garçons vont jusqu'à à harceler certaines filles refusant leurs avances. Ces indicateurs sociaux expliquent le malaise social d'une catégorie  de la jeunesse immigrante dont l'épanouissement sexuel apparaît fortement perturbé. En moyenne, un migrant passe 2 ans avant d'entretenir un rapport sexuel. 2 migrants sur 3 font recourt aux maisons clauses. Et selon les médias internationaux comme France 24 , les maisons clauses sont majoritairement animées par des filles nigérianes.

2. L'OIM et sa démarche de rapatriement : quelles zones d'ombres ?

L'OIM est une organisation onusienne qui s'occupe de l'immigration internationale. Sa démarche de rapatriement s'exerce sur le principe de l'identification et de regroupement des migrants remplissant des critères institutionnels édictés avant leur rapatriement. 

2.1. Le principe du regroupement des retours volontaires par nationalité

La première étape part de l'acceptation du migrants lors du recensement d'un agent de son ambassade. Et ensuite la collecte de  ses donnés sont reversée au niveau  de l'immigration lorsque le quota des migrants atteints un nombre pouvant remplir un avion, le plus souvent, de 144 places. Après ce constat, l'OIM mobilise les fonds afin d'affréter un avion. Après un délai d’un mois environ, l'opération de rapatriement se concrétise.

Ce prinicipe d'operationnalisation semble profitable aux communautés représentatives. Les communautés malienne, nigeriens et nigérians apparaissent comme des communautés représentatives. D'après un rapport de OIM, en Libye 1 migrant sur 6 est nigérian. Et ces communautés subsahariennes  representatives présentent des caractéristiques homogènes. 

. Présence d'une unité diplomatique d'urgence
. Une collaboration efficace entre unité d'urgence / OIM / administration carcérale libyenne
. Rapidité du regroupement
. Délai de rapatriement court soit 1 à 2 mois d'attente

Ce principe d'operationnalisation semble défavorable aux communautés minoritaires. Les caractéristiques des communautés minoritaires varient d'une communauté à une autre. Le cas de la communauté Centrafricaine est différent du Cameroun.  Statistiquement, la communauté camerounaise est plus représentative que celle de la Centrafrique, mais la communauté Centrafricaine dispose d'une représentation diplomatique. Et elle voit les locaux de son ambassade sollicité par la communauté camerounaise qui ne disposent pas d'ambassade. Mais pour un bon nombre de communautés minoritaires, les caractéristiques sont les mêmes :

. L'absence d'une représentation diplomatique
. Présence d'un agent de liaison 
. La longue durée du regroupement impactant sur le délai de rapatriement, soit 4 à 6 mois d'attente
. L'impatience des minorités

Et lorsque ces minorités ne trouvent pas de réponses au niveau de leur agent de liaison, elles se rabattent sur les ambassades qui disposent de liens d'amitié avec leur pays. Nous avons l'exemple de la Côte d'Ivoire et du Mali, celui de la Centrafrique et du Cameroun etc.

2.2. Les insuffisances du principe opérationnel:  le développement de la superposition entre nationalité subsaharienne de proximité

Les ressortissants ivoiriens ont tendance à se désister à l'approche du départ. Ces désistements créent un manque à gagner pour l'OIM. C'est ainsi que l'OIM va adopter une stratégie déjà enclenchée par les communautés représentatives afin d'aider les communautés minoritaires. Cette stratégie de superposition qui était non officielle générait une manne financière. Les migrants minoritaires désireux de s’incruster deboursaient des sommes équivalents au billet d'avion normalisé. Ce deal de la vente des places touchaient les membres  de ces communautés  représentative qui voyaient leur place vendue au détriment des membres de communauté minoritaires manifestant le besoin de rapatriement.

Afin de faire cesser ce deal humanitaire et de participer effectivement aux réponses, l'OIM récupère cette stratégie de superposition en l'institutionnalisant. Désormais, les membres des communautés minoritaires peuvent être rapatriés avec des membres des communautés représentatives dont la proximité de deux pays sont de mise.

Mais, malgré cette nouvelle réponse, certaines communautés se sentent oubliées, voire marginalisées. Certains migrants préfèrent garder leur autonomie d'action, afin de faire des choix rationnels, soit vers un rapatriement frauduleux soit vers une traversée méditerranéenne. La vision minimaliste de l'OIM sur le cas des minorités, voire l'impossibilité de l'OIM à s'accorder aux exigences des fluctuations des besoins des retour-volontaires et l'absence des ambassades constituent les facteurs déterminant favorisant la construction d'un néo-piège libyen.

Le potentiel économique des migrants ivoiriens en Libye favorise leur autonomisation dans le choix de leurs options. L’absence de l'ambassade occasionnant un rapport distandu avec les migrants, l'option de l'OIM apparaît comme l’unique possibilité de retour. Pourtant, le migrant disposant d'une accumulation économique forgée localement aimerait définir la trajectoire de son retour en toute autonomie. Et comme le rituel procédural de l'OIM n'est pas apprécié  par bon nombre de migrants, (Interview faite de visite médicale etc), l'option de la traversée apparaît comme la seule voie d'accès à la liberté.


15 Octobre 2019



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