Comment "refonder" l’Union européenne
Une opinion de Paul N. Goldschmidt Directeur, Commission européenne (e.r.); Membre du comité d’orientation de l’Institut Thomas More.

A la base du blocage de l’Union se trouve une succession de compromis, de dérogations, d’exonérations et de protocoles ainsi que l’application à la carte de l’acquis communautaire.

L’Union est face à un choix binaire : donner la primauté à la "souveraineté nationale" et à une gestion "inter-gouvernementale" (confédéralisme) ou hiérarchiser les niveaux de pouvoir - dans le respect de la subsidiarité - sous l’autorité d’un gouvernement "supranational" (fédéralisme). Aujourd’hui, le pouvoir effectif, qui réside au sein du Conseil européen coincé entre les Etats membres et les organes de l’Union, est devenu inopérant.

De nombreux éminents intervenants, parmi lesquels Bernard Snoy et George Soros, font d’excellentes suggestions sur des réformes destinées à sortir de l’impasse actuelle. De même, le président Hollande, la chancelière Merkel, le Premier ministre Renzi, Nicolas Sarkozy, parmi beaucoup d’autres politiciens, réclament, sans plus de précisions, une "refondation" de l’Europe.



Modifier l’architecture

Pourtant, ces réformes, quelles qu’elles soient, ne pourront aboutir sans modifier l’architecture institutionnelle dans laquelle elles doivent s’inscrire. A défaut, on cultivera des visions incompatibles des valeurs de démocratie et de souveraineté, conduisant à la désintégration de l’Union dont le "Brexit" pourrait se révéler un puissant accélérateur.

A la base du blocage de l’Union se trouve une succession de compromis, de dérogations, d’exonérations et de protocoles ainsi que l’application à la carte de l’acquis communautaire. Elles véhiculent l’image d’une Europe élitiste et technocratique, alimentant un sentiment d’incompréhension sinon d’injustices et d’un déficit démocratique.

Ceux qui veulent dissocier les réformes institutionnelles du traitement de dossiers spécifiques urgents, s’abritent derrière un "faux pragmatisme". Ils retardent une décomposition de l’Union qui deviendra inévitable quand les Européens se sentiront trahis une fois de plus. Dans le cadre d’un "accord politique" clair, le citoyen est parfaitement capable de comprendre qu’une réforme profonde demande du temps et une minutieuse préparation. Dans l’intervalle, les dossiers précis doivent être traités en cohérence avec les objectifs des réformes structurelles contenues dans cet accord.

Une approche, développée par l’Institut Thomas More en juillet 2012, consisterait à instaurer une Confédération d’Etats membres, "l’Union européenne, (UE)" au sein de laquelle un nouvel Etat fédéral, la "Communauté européenne, (CE)", serait le pilier principal. Cette Europe pourrait concilier les visions divergentes et incompatibles qui existent aujourd’hui au sein des 27 pays membres.



Bâtie sur l’Eurozone

La CE serait configurée en s’inspirant des modèles des fédérations suisse, belge, allemande et américaine, visant une large dévolution de compétences aux niveaux inférieurs de pouvoir. Elle serait bâtie sur l’Eurozone, ses membres ayant déjà mis leur souveraineté monétaire en commun, une décision difficilement réversible sans engendrer l’implosion de la monnaie unique et de l’UE. L’ensemble de "l’acquis communautaire" leur serait applicable sans aucune dérogation. Cependant, un examen préalable des compétences serait entrepris pour limiter strictement celles exercées au niveau fédéral et restituer aux niveaux inférieurs l’ensemble des pouvoirs résiduels.

Le gouvernement fédéral serait doté d’un budget, financé par des ressources propres, lui conférant une capacité d’emprunt autonome (voir propositions de Soros). Ce serait l’interlocuteur privilégié de la BCE, rétablissant le contrôle politique qui fait défaut.

Il serait responsable devant un Parlement fédéral élu au suffrage universel selon un code électoral commun. Le remplacement du "Conseil européen" par une deuxième chambre (des Etats) sur le modèle allemand (Bundesrat) ou américain (Sénat) doit être examiné ainsi qu’un choix entre un régime "présidentiel" à la française ou "parlementaire" à l’allemande pour la désignation du/des Chef de l’Etat fédéral et/ou de l’Exécutif.

Sur le modèle de l’Union bancaire

L’UE serait une Confédération d’Etats indépendants (dont la CE) unis par un nouveau Traité international simplifié. L’adhésion de nouveaux membres éviterait la négociation des 35 chapitres de l’acquis; elle serait l’objet d’une décision "politique" dont la condition essentielle serait le respect des critères de Copenhague. Reflétant la prépondérance de la CE, celle-ci assumerait le budget de fonctionnement (limité) de l’UE.

L’essentiel des provisions du Traité sur l’Union européenne (TUE), ainsi que les politiques, directives et règlements faisant partie de l’acquis communautaire, seraient transférés soit à un "Traité constitutionnel" soit intégrés à la législation du nouvel Etat fédéral.



Pas lieu de négociations prolongées

Les Membres de l’UE pourraient adhérer "à la carte" aux politiques de la CE sur le modèle de l’Union bancaire qui s’impose aux membres de l’Union économique et monétaire (UEM) tout en étant ouverte aux autres membres de l’UE. L’adhésion impliquerait une acceptation sans restrictions des règles et une contribution budgétaire appropriée. Cela permettrait, par exemple, une adhésion au marché unique (impliquant entre autres l’acceptation des 4 libertés fondamentales), au programme communautaire de recherche, à la Politique agricole commune (Pac), ou à une future politique d’immigration ou de défense commune, etc. L’adhésion à toute politique donnerait le droit de participer aux délibérations y ayant trait avec voix consultative; ces membres "adhérents" pourraient, par contre, se retirer des accords souscrits.

Seuls les pays membres de l’UE pourraient solliciter leur admission dans la CE fédérale à condition d’accepter - et d’avoir mis en œuvre - l’ensemble de ses règles (y compris l’adhésion à l’UEM). Cette adhésion serait ratifiée par la CE. Elle ne donnerait pas lieu aux négociations prolongées actuelles puisque plus aucune dérogation à l’acquis ne serait tolérée. Les mécanismes de transition actuels seraient remplacés par l’adoption progressive des politiques de la CE comme décrit ci-dessus, et ce au rythme et dans l’ordre choisis par le candidat.

Un siège au Conseil de Sécurité



Ce schéma offre la possibilité aux pays de l’UE de préserver le degré de souveraineté nationale qui leur convient. Il offre une solution élégante au drame du Brexit en offrant au Royaume-Uni de rester membre de la l’UE réformée tout en se retirant (partiellement) de la CE. La question turque s’en trouverait aussi facilitée.

Il ne faut pas, cependant, sous-estimer une série de questions délicates : la France, par exemple, serait-elle prête à transférer son siège au Conseil de Sécurité à la CE ou de partager le contrôle de l’arme nucléaire ? Les pays membres de la CE accepteraient-ils une diplomatie et une représentation intégrée dans les organismes internationaux ? Sans la volonté politique de traiter ces questions, il est illusoire d’engager des négociations qui ne pourraient déboucher que sur une Union au rabais. Mieux vaut faire face au démantèlement de l’Union en sachant que les conséquences économiques, financières, sociales et politiques seront infiniment plus pénibles que celles qui se profilent déjà pour le Royaume-Uni.

10 Juillet 2016

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