"Il n'existe aucune alternative aux énergies renouvelables"
L'EXPRESS - Propos recueillis par Alexis Lacroix, publié le 29/11/2018 à 16:01

Chercheur spécialisé dans le domaine de l'énergie, Manfred Fischedick, 54 ans, dirige le Wuppertal Institut.

Manfred Fischedick est le plus en vue des climatologues allemands. Il décrypte les mesures annoncées le 27 novembre par le président français, Emmanuel Macron, afin de rendre plus équitable et démocratique la transition énergétique et écologique. 

L'EXPRESS. Tout en expliquant qu'il ne renonçait pas entièrement à l'énergie nucléaire, Emmanuel Macron a annoncé l'objectif d'une réduction de moitié de la production d'énergie atomique d'ici à 2035. Estime-t-on en Allemagne qu'il a raison?
Manfred FISCHEDICK. Si j'ai bien compris votre président, il ambitionne de réduire la part de l'atome de 70% (chiffre actuel) à 50% en 2035. Son prédécesseur, François Hollande, poursuivait cet objectif, mais pour l'échéance de 2025. Il faudra donc fermer, d'ici à 2035, 14 centrales nucléaires à 900 MW. L'idée est de mettre fin à la grande dépendance vis-à-vis de l'atome, ce qui constitue un "pas considérable", comme l'a fait valoir Macron. Pour pallier la production manquante d'électricité, des énergies renouvelables (éolienne et photovoltaïque) doivent être construites. Au vu du haut potentiel productif des énergies renouvelables en France, un plan plus ambitieux, c'est-à-dire une réduction plus large de la part de l'atome d'ici 2035, ne serait pas uniquement désirable, mais également faisable. Il est surprenant que Macron n'exclue pas la construction de centrales atomiques de nouvelle génération. Car, s'il est vrai que celles-ci sont "propres", dans la mesure où, à l'instar des énergies renouvelables, elles ne sont pas émettrices de dioxyde de carbone (CO2), elles ne manquent pas non plus d'inconvénients, notamment pour des raisons économiques. 

D'après vous, pourquoi est-il si capital de se libérer des énergies fossiles?
La motivation principale est la suivante : il faut réduire l'émission de CO2 produite par la combustion des énergies fossiles. Selon les indications des climatologues, il conviendrait de rendre nulles ces émissions d'ici au milieu du siècle. Tout au moins si l'on veut limiter l'augmentation de la température moyenne sur le globe (par contraste avec l'ère pré-industrielle) à 1,5°C. Si l'on se bornait à l'objectif de 2°C, comme cela a été décidé en Paris, en 2015, on obtiendrait une stabilisation de l'effet de serre entre 2060 et 2070. Les pays industrialisés, historiquement à l'origine des principales émissions, ont au bas mot le devoir moral de jouer un rôle pionnier dans ce sens.
Le développement du renouvelable est-il rendu indispensable par l'aggravation de l'urgence climatique?
Oui, car il n'existe aucune alternative véritable aux énergies renouvelables. Et ce, d'autant plus que les coûts des technologies centrales ont fléchi de façon dramatique au cours de la dernière décennie. Le développement de l'énergie atomique, en revanche, n'est pas seulement plus onéreux, mais plus périlleux, en raison des dangers rémanents de ce secteur. Pour développer les énergies renouvelables, il faut mener à son terme l'épuisement des potentiels énergétiques élevés - c'est là, en toute rigueur, le plus favorable des scénarios d'atténuation du changement climatique. 

Faut-il selon vous continuer à "dédieséliser" le parc automobile, à l'échelle de l'ensemble de l'Europe?
A très court terme, il est souhaitable de rendre plus propres les nombreux véhicules diesel avec des aménagements techniques, ce qui concourrait à l'amélioration de la qualité de l'air dans les agglomérations. A moyen et plus long terme, cependant, le développement des véhicules électriques utilisant le renouvelable doit être favorisé. Cela vaut pour la voiture particulière et pour de légers véhicules utilitaires. Pour les gros camions et les avions, des cellules de combustible d'hydrogène se basant sur des ressources énergétiques renouvelables constituent une alternative adaptée à l'objectif de la protection du climat.

En matière d'atténuation des effets du changement climatique, l'Allemagne peut-elle constituer un modèle pour nous, Français?
Il n'y a pas de "calque" pour le changement climatique, et copier purement et simplement ce modèle n'a pas de sens. Pourtant, cela vaut la peine d'observer, d'étudier, et, dans certains cas, de transposer les stratégies couronnées de succès (par exemple l'élargissement rapide des ressources énergétiques renouvelables dans le domaine de la production de courant en Allemagne de 5% en 2000 à plus de 36% en 2017 et sans mise en cause de la sécurité d'approvisionnement). Vice versa, l'Allemagne peut - et doit - apprendre beaucoup des autres.

L'Allemagne a-t-elle inventé des solutions innovantes et créatives?
La pression d'action était assez haute dans le domaine de la protection de climat, qualité aérienne ainsi que les résistances de plusieurs dizaines d'années contre l'énergie nucléaire. En plus viennent les intérêts de certains industriels pour le déploiement de nouvelles technologies afin de positionner sur le marché mondial en plein boom des solutions protectrices du climat.

Macron a-t-il eu raison de créer en France un "Haut-Conseil pour le climat"?
Si celui-ci promeut l'apprentissage mutuel des partenaires européens sans omettre de mentionner les manquements commis ici et là à l'impératif d'atténuation du changement climatique, il pourra avoir un effet bénéfique.


30 Novembre 2018

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