La Chine, "élève" des Français dans le nucléaire, veut devenir le "maître"

Par Jean-Michel Bezat



Quian Zhimin nourrit de grandes ambitions. Cet homme de 47 ans, PDG de la compagnie publique d'électricité CGNPC (China Guandong Nuclear Power company), a récemment commandé au groupe français Areva deux EPR et le combustible nécessaire au fonctionnement des réacteurs français de 3e génération pour un montant de 8 milliards d'euros.

"Ce patron affable et francophile sait dire à Pierre Gadonneix, le PDG d'EDF, partenaire de CGNPC depuis 25 ans dans les centrales de Daya Bay et Ling Ao en service près de Canton, que ces opérations "entre professeur et élève" ont vécu et que l'heure est maintenant à une "coopération stratégique" entre leurs sociétés. Le chef d'entreprise voit déjà son entreprise dans le trio de tête des exploitants de centrales nucléaires, aux côtés d'EDF et du japonais Tepco...

Le groupe français a encore une bonne longueur d'avance avec l'EPR déjà en construction en Finlande et en France. Jusqu'à présent, il avait assisté CGNPC dans la construction des 4 réacteurs de Daya Bay et Ling Ao. Il a franchi une nouvelle étape - une première pour un groupe d'énergie étranger - en investissant 600 millions d'euros (environ 30 % du capital) dans une co-entreprise avec CGNPC. Ce joint-venture va bâtir et exploiter les deux EPR vendus par Areva sur le site de Taishan, près de Macao.

Il a beau être un "ami" de 25 ans, EDF a dû convaincre CGNPC qu'il refusait d'être un partenaire dormant, refusant les 15 % du capital que les Chinois lui proposaient au départ. "Investir et exploiter, c'est la condition que j'avais posée", explique M. Gadonneix. Il exigeait aussi un droit de veto sur des choix sensibles (sûreté des installations, grands contrats, calendrier des travaux). C'est avec ce précédent qu'EDF et CGNPC comptent vendre avec Areva d'autres EPR en Chine et en Asie du Sud-Est.

Mais l'avance technologique française ne sera pas éternelle. CGNPC, qui a développé de fortes compétences en ingénierie, peut déjà dupliquer les centrales de 2e génération que lui a vendues la France dans les années 1980 après les avoir "sinisées". C'est de bonne guerre : dans les années 1970, EDF et Framatome ont acquis la licence du réacteur à eau pressurisée de Westinghouse, avant de le "franciser". Le groupe américain, racheté en 2006 par le japonais Toshiba, est encore le premier rival d'Areva sur le marché mondial.

"On avait vendu la centrale de Daya Bay clés en main, se rappelle Hervé Machenaud, directeur de la branche Asie-Pacifique d'EDF. Ling Ao 1 était déjà 30 % chinois et Ling Ao 2 le sera à 70 %." Il estime que la construction des deux premiers EPR achevée, "les Chinois seront capables de les construire". Avec l'appui technique d'EDF, la Chine va être l'"expérience export du réacteur de troisième génération EPR" dans le Sud-Est asiatique, pronostique-t-il. Des travaux d'approche ont commencé au Vietnam, qui prévoit de s'équiper de centrales nucléaires. La Thaïlande pourrait être intéressée.

Les ingénieurs chinois travaillent aussi bien que leurs collègues français qui les ont formés à la construction des centrales. Et parfois mieux. A Ling Ao 2, le calendrier de construction des deux réacteurs supplémentaires est bien tenu. Sauf par Areva, qui a pris un retard de plusieurs mois dans la fabrication de la cuve du premier réacteur, s'inquiète poliment Zheng Dongshan, le patron de la filiale ingénierie de CGNPC.

DÉVELOPPEMENT "ACCÉLÉRÉ"

Quand son patron Quian Zhimin reçoit les journalistes, il leur fait distribuer au préalable un document qui rappelle l'ambitieux programme électronucléaire de la Chine. Et sa méthode : "Acquérir la technologie grâce à l'ouverture du marché, importer la technologie avancée de l'étranger, en coordonner l'assimilation et favoriser l'innovation afin de devenir autonome dans la conception." A terme, ajoute le document, CGNPC doit "acquérir les compétences nécessaires pour construire des centrales 100 % chinoises".

A ceux qui jugent que ces pratiques relèvent du pillage, Nicolas Sarkozy a répondu, fin novembre 2007, lors de sa visite à Pékin. "Les transferts de technologies ne me font pas peur, avait souligné le chef de l'Etat. Nos meilleures technologies, nous les partagerons avec vous." Le partenariat avec EDF et Areva sur l'EPR permettra à CGNPC d'être "à la pointe de la technologie au niveau mondial" d'ici à 15 ans, selon ses dirigeants. Compte tenu de l'importance stratégique de son programme nucléaire, la dépendance aux technologies étrangères est inacceptable pour la Chine. Les industriels étrangers n'ont d'autre choix que de partager.

Avant 2004, le slogan des autorités chinoises était "le développement nucléaire approprié", raconte Alain Tournyol du Clos, conseiller nucléaire de l'ambassade de France à Pékin. Depuis, "accéléré" a remplacé "approprié". En 2020, la capacité installée devrait atteindre 40 000 mégawatts (MW) - soit cinq fois celle de 2007 - et 18 000 MW supplémentaires seront en construction, mais seulement 4 % de l'électricité produite en Chine. Le groupe de Quian Zhimin sera alors le numéro un chinois.

"Il est peu crédible que cette part reste à un niveau aussi bas à long terme", analyse Luc Oursel, président d'Areva NP, qui fabrique l'EPR. Le pays met chaque année en service l'équivalent du parc français (nucléaire, thermique, hydraulique), surtout avec des centrales au charbon. Des officiels reconnaissent qu'à terme, ils souhaitent rejoindre la moyenne mondiale de 17 % d'électricité nucléaire. La Chine aurait alors 250 réacteurs !


Février 2008

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