L'automobile mondiale à la veille d'une révolution
Par Stéphane Lauer


L'alliance Renault-Nissan a franchi avec succès la première étape de son ambitieux projet de s'allier avec General Motors (GM)

Les conseils d'administration respectifs des constructeurs français et japonais ont donné, lundi 3 juillet, leur feu vert pour étudier la faisabilité d'une union à trois."Des discussions avec General Motors, concernant une alliance potentielle, pourraient être engagées dès lors que General Motors en ferait la proposition", a indiqué, lundi soir, Renault. En attendant la réponse de GM, l'idée d'une union à trois laisse plusieurs questions en suspens.

Pourquoi cette alliance ? Il y a peu de chances que l'idée date, comme cela a été dit, du dîner du 15 mai entre le patron de Renault-Nissan, Carlos Ghosn, et le milliardaire Kirk Kerkorian, l'un des principaux actionnaires de GM.

La logique est le fruit d'une longue réflexion sur l'avenir de l'industrie automobile mondiale. Le secteur entre dans une crise sans précédent dont on voit les prémices aux Etats-Unis et en Europe. Guerre des prix, surcapacités, restructurations permanentes vont tôt ou tard conduire à une nouvelle consolidation.
Or seuls trois constructeurs sont réellement en mesure de mener les opérations : Toyota, Honda et Nissan. Ces trois acteurs sont assis sur une trésorerie abondante, n'ont pas de dette et affichent des rentabilités sur chiffre d'affaires supérieures à 8 %.



Toyota, qui a toujours refusé les alliances pour croître, est a priori exclu des grandes manoeuvres à venir. Honda a été vacciné par son échec de prise de contrôle du britannique Rover au début des années 1990. Reste donc Nissan, qui, grâce à son alliance avec Renault, a trouvé un modèle innovant et efficace de coopération.

Est-ce le bon moment ? Le fait que l'initiative de l'alliance vienne de M. Kerkorian est à double tranchant. D'un côté, cela permet de donner une "couleur" américaine à l'opération et atténuer ainsi les réactions de patriotisme économique aux Etats-Unis. De l'autre, M. Ghosn n'a pas eu la maîtrise du calendrier. Or celui-ci n'est pas optimum.

Renault, qui vient d'entamer son plan de relance, annoncé en février, a de nombreux défis à relever. Attendre les premiers signes du redressement aurait été sans doute préférable. Nissan entre également dans une zone de turbulences. Le renouvellement en cours de sa gamme aux Etats-Unis risque de lui faire perdre des parts de marché dans les prochains mois.

Par ailleurs, M. Ghosn a prévenu, fin juin, que les ventes au Japon cette année seraient moins bonnes que prévu. La situation du groupe japonais aurait sans doute été plus favorable en 2007.
Côté GM, la situation n'est pas non plus favorable, mais pour des raisons inverses : pour résumer cela ne va pas encore assez mal. Le constructeur américain vient en effet d'obtenir un sursis financier grâce à la vente de 51 % de sa très rentable filiale financière, GMAC.

Par ailleurs, GM a annoncé, fin juin, que les restructurations se déroulent plus vite que prévu. Plus de 35 000 salariés ont souscrit au plan de départs volontaires. Le spectre d'une faillite s'éloigne pour le moment.
GM a-t-il les moyens de refuser la proposition ? Si, comme certaines indiscrétions le laissent entendre, le futur schéma se dirige vers une prise de participation de 20 % répartie à parts égales entre Renault et Nissan, à laquelle on ajoute les 9,9 % de M. Kerkorian, plus la part de certains fonds spéculatifs qui pourraient apporter leur soutien, l'ensemble formerait une coalition qui représenterait de 30 % à 40 % du capital. Difficile de refuser quoi que ce soit à des actionnaires aussi puissants ! Mais telle n'est pas la philosophie de M. Ghosn, qui a prévenu que pour aboutir, le projet a besoin de la pleine coopération du management de GM.



C'est peut-être la conjoncture que s'apprête à traverser GM qui risque de faire pencher la balance. Le ballon d'oxygène dont profite actuellement GM ne doit pas faire illusion. Le marché automobile américain est en voie de retournement. Avec la hausse des taux d'intérêt, l'éclatement de la bulle immobilière et la baisse de la consommation qui pourraient s'ensuivre, GM ne dispose pas des outils pour affronter une telle tempête.
On ne voit pas comment le groupe pourrait résister à une dégradation de ses ventes, alors que, dans un marché qui restait jusqu'à présent à de hauts niveaux, il ne pouvait écouler ses voitures que grâce à de généreuses ristournes. Le mois de juin, au cours duquel GM a vu plonger ses immatriculations de 25,9 %, rappelle que ce scénario n'a rien de catastrophiste.

A quoi servirait cette alliance ? Convaincre le management de GM que l'alliance inéluctable est une chose, réussir à redresser le géant américain en est une autre. Seule certitude : un GM à 25 % de parts de marché aux Etats-Unis n'est pas viable car la plupart de ses ventes ne sont pas rentables. Il est nécessaire que GM revienne à une certaine vérité du marché, c'est-à-dire à une part inférieure.

Cela va supposer des sacrifices. L'alliance à trois ne pourra se faire que si le constructeur américain bouscule son système social - tant les salaires que les retraites. Un "méga accord" social est donc le préalable avant que Renault-Nissan ne s'engage dans l'aventure.

A partir de là, tout est possible. Toyota, Honda ou Nissan réalisent 60 % à 70 % de leurs bénéfices aux Etats-Unis. Il n'y a pas de raison pour qu'un GM profondément restructuré, adossé à une alliance Renault-Nissan performante, ne trouve pas un modèle économique rentable.

Un tel ensemble serait-il encore gérable ? La CGT-Renault ne s'y est pas trompée en affirmant, lundi, qu'"il est préoccupant de voir l'émergence d'un tel monstre en termes de concentration de capital, de pouvoir et d'influence sur l'avenir de l'industrie automobile mondiale".

M. Ghosn, qui partage déjà son emploi du temps entre le Japon, l'Europe et les Etats-Unis, a-t-il la capacité de piloter en plus la restructuration du numéro un mondial ? Peu probable. Ce qui sous-tend que l'alliance telle qu'elle a fonctionné entre Renault et Nissan devrait changer de structure, sinon de nature...

Juillet 2006


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