"L'eau ou l'alimentation seront des sources de conflits potentiels"
Propos recueillis par Laetitia Clavreul

Dans son rapport sur les risques mondiaux 2008, le Forum économique mondial a mis en avant la crise financière, mais aussi l'insécurité alimentaire, face à l'envolée des prix constatée en 2007. Quel message êtes-vous venu délivrer aux participants du sommet de Davos ?

Je veux leur faire prendre conscience que, pendant longtemps, nous avons ignoré une question fondamentale : tout être humain a besoin de manger chaque jour. On a considéré qu'il était évident qu'on aurait suffisamment d'aliments, alors que de nombreux facteurs auraient dû nous préoccuper. La demande alimentaire mondiale ne cesse d'augmenter avec la population, et le changement climatique provoque sécheresses et inondations. Début 2007, les stocks mondiaux étaient au plus bas depuis 1980, et, début 2008, ils avaient encore baissé de 2 %.


Le directeur général de la FAO, Jacques Diouf.

Rappelons quelques chiffres : 854 millions d'humains ne mangent pas à leur faim, la population mondiale va passer de 6 à 9 milliards d'ici à 2050, et 70 % des pauvres sont des ruraux. Pourtant, aucune priorité n'a été accordée à l'agriculture.

Nous sentons une préoccupation croissante à Davos. La FAO (Organisation pour l'alimentation et l'agriculture) va proposer deux grandes réunions durant l'année 2008, une conférence de chefs d'Etat sur la sécurité alimentaire mondiale et le défi du réchauffement climatique en juin, et une seconde sur le thème "comment nourrir le monde en 2050 ?" en novembre. Parce que gouverner le monde, c'est prévoir. Notre rôle en tant qu'agence de l'ONU est d'offrir les conditions de la réflexion aux leaders mondiaux.

Quel impact peuvent avoir des prix alimentaires élevés ?

Si nous ne trouvons pas de mécanismes de régulation techniques et économiques, l'eau ou l'alimentation seront sources de conflits potentiels. En juin 2007, la FAO a mis en garde contre des crises sociales que pourrait provoquer la hausse des denrées agricoles. Des manifestations ont d'ailleurs eu lieu en Indonésie, en Mauritanie, au Sénégal, en Guinée ou au Yémen.

Quelle solution préconise la FAO pour calmer les tensions ?

Il faut discuter tous ensemble de ce contexte très complexe. Il est lié à la demande en biocarburant, elle-même liée au prix du gaz et du pétrole, et aussi à la demande alimentaire des pays émergents, qui évolue en quantité et en qualité. Le fait que de plus en plus de personnes consomment de la viande et du lait aura un gros impact sur les quantités d'eau et de céréales nécessaires. Toutes ces demandes s'exercent sur des ressources limitées. Il faut prendre des décisions politiques et stratégiques à ce sujet, collectivement.

Vous semblez regretter que certains pays, comme l'a fait la Chine, prennent des mesures isolément...

Pour des raisons structurelles, la situation (sur les marchés agricoles) ne va pas changer du jour au lendemain. En 2007, l'envolée des prix a eu un impact sur les capacités d'importation de produits alimentaires de certains pays. La facture totale a atteint un record, à 747 milliards de dollars (506 milliards d'euros). Pour les pays en développement, elle a augmenté de 25 %. Parallèlement, nous avons vu des Etats prendre des mesures restrictives avec des taxes aux exportations ou des fixations de prix. Ce n'est pas avec des décisions unilatérales que le problème se réglera.
La FAO a, pour sa part, lancé un programme catalytique pour encourager des donateurs bilatéraux et multilatéraux à aider les agriculteurs des pays pauvres à acquérir des semences et des engrais, dans le but d'augmenter la production.


Février 2008


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