Tiken Jah Fakoly : "Nous devons jouer notre partition dans la construction de l'Afrique"
Propos recueillis par Alain Aka




Le Mali, le Sud-Soudan, la Centrafrique : autant de foyers de tension, sources de souffrances pour Tiken Jah qui garde l'optimisme et la foi en l'avenir de l'Afrique chevillés au corps. C'est cela qu'il essaie de transmettre à travers "Dernier appel", son opus dans les bacs à partir de juin. Produit et arrangé par Jonathan Quarmby, déjà à l'oeuvre sur les albums "L'Africain" et "African Revolution", cet album en est une belle illustration. "Quand l'Afrique va se réveiller, ça va faire très mal", dit d'emblée Tiken Jah. Entretien.

Le Point Afrique : Pourquoi avoir choisi d'appeler cet album "Dernier appel" ? Il y a-t-il le feu à la maison ?

Tiken Jah Fakoly : Pas forcément ! C'est un appel que je lance à la jeunesse africaine. Un autre, me direz-vous. À la mosquée, il y a plusieurs appels avant que la prière commence. À l'église aussi, la cloche sonne plusieurs fois avant le début du culte ou de la messe. C'est notre manière à nous d'éveiller les consciences. On l'a déjà fait avec les précédents albums. Notre génération doit jouer sa partition dans l'unité et la construction de l'Afrique. Nous devons respecter nos institutions. C'est une mission délicate et difficile, un processus long, mais indispensable.
 
Est-ce à dire que "votre révolution africaine" n'a pas marché ?

Quand vous observez l'histoire des peuples des pays dits démocratiques, vous remarquez qu'ils viennent de loin. Ils sont passés par divers chemins pour y arriver. C'est vrai, avant "Dernier appel", j'ai sorti "African Revolution" en 2010. Toute révolution prend du temps. Mais entendons-nous bien ! Ma révolution à moi est une révolution par l'éducation et dans l'unité. Pas une révolution par les armes. L'Afrique est à reconstruire. Et personne n'a le droit de détruire ce qui est en train d'être fait. L'intérêt général doit primer sur le particulier. Aujourd'hui plus que jamais, nous devons nous mettre ensemble, regarder dans la même direction pour bâtir nos pays, pour construire notre Afrique. Voilà mon appel.

Pour cet album, vous avez fait appel à deux Afro-Allemands....

Exactement ! Il s'agit de Patrice et Nneka. Moitié Africains, moitié Allemands. Il était important pour moi de faire découvrir leur musique au continent. Ils sont connus ici en Europe. Il est tout à fait normal que toute l'Afrique sache qui ils sont et ce qu'ils fon. Je sais que Nneka a pris les devants et va souvent en Afrique. J'ai eu la chance de partager la même scène que Patrice, lors de certains festivals. Nous nous apprécions mutuellement. J'aime sa musique et c'est réciproque. On avait à coeur de travailler un jour ensemble. Quand j'ai composé "Too much confusion", j'ai toute de suite pensé à lui. Il nous a rejoints en studio sans hésiter. Neeka, je ne la connais pas personnellement, mais j'apprécie son travail. On a fait des festivals ensemble. Dans "Dernier appel", elle a fait un featuring sur "Human Thing". Nous nous sommes retrouvés tous les trois sur "War In a Babylon Give Peace a Chance". Une très belle expérience !

Il y a aussi une collaboration avec Alpha Blondy. La hache de guerre est-elle définitivement enterrée ?

Alpha Blondy est aujourd'hui l'une des plus grandes voix d'Afrique. Nous avons connu, par le passé, des divergences d'opinion et de point de vue. Ce sont des choses qui arrivent dans la vie des êtres humains. Après la crise post-électorale en Côte d'Ivoire, nous avons décidé de nous rencontrer. Le petit-frère que je suis a appelé le grand-frère qu'il est et nous avons parlé réconciliation. Avant de parler de réconciliation aux Ivoiriens, il fallait d'abord que nous soyons réconciliés tous les deux. C'est une question de logique. C'est ce qu'on a fait. On a joint l'acte à la parole dans "Mystic Power", le dernier album d'Alpha Blondy, sorti en mars 2013. Nous avons collaboré sur le titre "Reconciliation". Nous sommes vraiment réconciliés et nous avons décidé de le prouver une fois de plus aux Ivoiriens. Ce ne sont pas que des mots. J'ai donc invité le "grand -frère" sur "Dernier appel". Il a dit oui et ensemble nous avons voulu adresser un message à la diaspora africaine dans le monde. L'Afrique a besoin de tous ses enfants. Dans cette réconciliation et cette reconstruction, la diaspora a un rôle majeur à jouer.

Vous êtes réconciliés, mais est-ce qu'il en est de même pour les Ivoiriens ?

Le processus suit son cours mais, pour qu'il aboutisse, chacun doit jouer sa partition : les politiques, la société civile, les citoyens. Je demande d'ailleurs une seule chose aux hommes politiques. Qu'ils fassent tout pour que la paix revienne en Côte d'Ivoire. Sans elle, personne ne pourra gouverner tranquillement. Tous les jours que Dieu fait, il y a des Ivoiriens qui se réveillent en souhaitant qu'il y ait un coup d'État. Et puis, il y a d'autres qui, en sortant de chez eux, prient pour que tout aille bien. Ces deux énergies ne peuvent pas aller ensemble. Nous sommes tous des Ivoiriens et on a le devoir de trouver des solutions pour aller à la paix. C'est ensemble qu'on y parviendra.

Pourquoi le retour de "Tata" sur "Dernier appel"

C'est un titre qui figure, en effet, sur l'album "Cours d'histoire" sorti en 1999. C'est un hommage à la mère de ma fille. Elle m'a attendu 10 ans alors que je me battais pour faire connaître ma musique. Elle en a souffert, surtout qu'à l'époque, je n'étais encore prêt à me marier. Sous la pression des parents, elle a dû s'unir à quelqu'un d'autre. Je m'en suis voulu. Je m'en veux encore. Et puis un jour, j'ai appris sa mort. Effondré, sous le choc, j'ai décidé de lui parler une dernière fois. Voilà comment est née cette chanson qui est très, très appréciée en Afrique. On l'a jouée une ou deux fois en France. Même les personnes qui ne comprennent pas forcément le Malinké sont touchées par ce titre.


2 Mai 2014

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