ESPOIRS DE RENAISSANCE, DÉRIVE D’UN CONTINENT
Ces guerres qui usent l’Afrique

Par Philippe Leymarie




Après quelques années d’« afro-optimisme », sur la lancée de la vague des démocratisations, de la « révolution congolaise » et de la « renaissance africaine », serait-ce le retour à une « Afrique-cauchemar » ? Feux de brousse ou guerres modernes : une douzaine de conflits usent en permanence ce continent à nouveau sens dessus dessous, qui semble prêt à s’embraser comme un morceau d’étoupe. S’affranchissant des tutelles diplomatiques étrangères, le continent devient-il son propre bourreau ? Pourtant, alors qu’on commémore ce mois-ci le cinquième anniversaire du début du génocide rwandais, M. Nelson Mandela, en Afrique du Sud, s’apprête à passer tranquillement la main tandis que les civils reprennent le chemin du pouvoir au Nigeria...

C’était au début des années 90... Le continent avait connu quelques-unes des plus longues guerres de son histoire : guerres de libération en Angola et au Mozambique, vite muées en guerres civiles ; lutte de libération nationale, en Erythrée, face à l’ancien empire éthiopien devenu la chasse gardée du « Négus rouge ». Derrière les acteurs locaux, la ronde des Antonov de l’armée soviétique, les contingents de soldats cubains, les livraisons d’armes ou subsides chinois, les manigances des unités de mercenaires levées par les services secrets américains, et - dans l’Atlantique sud, l’océan Indien et la mer Rouge - le face- à-face des flottes soviétique, américaine et même française... rappelaient le jeu des « incendiaires » extérieurs.

La chute du mur de Berlin (1989) et l’éclatement de l’Union soviétique (1991) ouvrirent soudain le champ à ce qui semblait jusqu’alors d’impossibles règlements. Des négociations pour la résolution des conflits « d’après-guerre froide » se mirent en branle à Luanda et à Maputo, sous le patronage actif des Nations unies, tandis que le régime communisant du colonel Menguistu, à Addis-Abeba, ployait sous l’offensive conjointe des fronts de libération du Tigre et d’Erythrée - cette dernière obtenant une indépendance réclamée par les armes depuis plus de vingt ans.



L’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita) et la Résistance nationale du Mozambique (Renamo), mouvements armés à recrutement ethnique, qui contestaient les « démocraties populaires » mises en place par les mouvements de libération de tendance marxiste, avec le soutien de l’URSS et de l’ensemble de la mouvance tiers-mondiste ou non alignée, étaient devenus, en 1991 et 1992, des partis légalement reconnus ; des accords de paix prévoyaient des élections pluripartites sous l’égide de l’Organisation des Nations unies (ONU). M. Jonas Savimbi, le chef de guerre de l’Unita, qui avait repris les combats pour le contrôle des gisements de pétrole et de diamants après avoir refusé d’admettre son échec à l’élection présidentielle de septembre 1992, avait dû se résoudre, sous la pression internationale, à souscrire en 1994 aux « accords de Lusaka », qui prévoyaient la mise en place d’un gouvernement d’union nationale et, pour lui- même, un « statut spécial ».

En Afrique du Sud, la libération de M. Nelson Mandela, le « plus vieux prisonnier du monde », la fin de l’apartheid et l’accession au pouvoir de la majorité noire signaient la fin d’une époque. L’Amérique démocrate, soucieuse de faire oublier les compromissions passées (1), se posait en « parrain » des nouveaux régimes d’Afrique australe et de la Corne, conduits par d’anciens marxistes conquis à l’économie de marché. Une vague de démocratisations - sur la lancée de la chute du dictateur roumain Nicolae Ceausescu (décembre 1989) et du discours du président français, François Mitterrand, à La Baule - secoua le continent, de part en part, avec force conférences nationales, constitutions pluripartites, élections. Tant de « signaux forts » paraissaient ouvrir, pour cette « autre Afrique », une ère de renaissance, avec le sentiment d’avoir enfin soldé, une génération après la vague des indépendances des années 60, la plupart des comptes de la colonisation...

Mais les sommets de l’horreur atteints il y a cinq ans, en 1994, avec le génocide des Tutsis du Rwanda, et les affrontements, au Burundi, entre Hutus et Tutsis, ainsi que les dernières affres surréalistes du régime de Mobutu au Zaïre, bientôt emporté par l’onde de choc de la tragédie rwandaise dont les « répliques » se font encore sentir dans toute l’Afrique centrale, ont brouillé les cartes.

Et le spectacle donné aujourd’hui par une partie du continent fait balancer entre incrédulité et désespérance. Partout se multiplient les zones de non-droit ( lire « Les entités chaotiques ingouvernables »). En Sierra Leone, des rebelles se vengent en coupant les bras et les mains des civils, alors que - dans une capitale en feu - des gouvernementaux interdisent l’accès des salles d’opérations aux french doctors.. A Brazzaville, en proie depuis cinq ans à la vindicte des milices, le régime a récemment fait « nettoyer » des quartiers à l’arme lourde (2). En Centrafrique, en Guinée-Bissau, des mutineries à répétition ont surgi, en dépit de tous les cessez-le-feu mis en oeuvre depuis deux ans... L’archipel des Comores est secoué par des îles sans cesse batailleuses... Et dans une île Maurice couverte d’éloges - une destination privilégiée du tourisme international -, la colère de la minorité créole, laissée-pour-compte du « miracle », éclate brusquement...

En Somalie, le pays demeure fragmenté, sans Etat, comme « hors du monde », malgré une dizaine de tentatives de réconciliation en cinq ans... (3). Entre l’Ethiopie et l’Erythrée, le conflit tourne à la boucherie, pour quelques arpents de frontière, entre frères d’armes devenus ennemis... En Algérie, au fil des cinq dernières années, l’horreur s’est banalisée... Et surtout, en Angola, une « guerre de cent ans » s’est de nouveau rallumée, signant un des échecs les plus retentissants de l’ONU et de la communauté internationale, dans un pays qui avait été le théâtre sanglant d’un des grands affrontements Est-Ouest des années 70 et 80, et où un siècle - de paix ! - serait nécessaire pour venir à bout du déminage...

Des guerres qui blessent l’optimisme et brutalisent les consciences non pas tant en raison de leur cruauté - qui n’est pas sans précédent, en Afrique comme ailleurs - mais parce qu’elles paraissent, comme en Sierra Leone, absurdes, suicidaires, sans principe, sans « programme », « en dehors de toute logique politique, et encore moins révolutionnaire (4) ». Parce qu’elles s’enchaînent, comme au Congo-Brazzaville, sans espoir apparent d’en sortir, sans leçons tirées, sans même se donner le temps de reconstruire. Ou que - s’agissant des conflits les plus emblématiques en Angola, au Congo-Kinshasa ou dans la Corne - leur déclenchement semble marquer l’échec de toute une période, l’écroulement d’une montagne d’efforts, avec le sentiment d’une pente toujours plus longue et hasardeuse à remonter.

Au point d’entraîner déjà des réactions de rejet dans l’opinion et les médias des pays du Nord, où - tout en constatant n’avoir, cette fois, « rien à voir » (5) dans ces conflits - on se résigne à laisser s’entretuer des communautés qui ne peuvent s’en empêcher, renouant avec l’antique vision d’un continent de tribus et de guerriers. Mais aussi en milieu africain, où percent le désarroi, l’incompréhension et la honte parfois - une « image déprimante » du continent, affirmait récemment le secrétaire général de l’ONU, le Ghanéen Koffi Annan -, où progresse aussi l’idée qu’après tout les abcès doivent se vider : « Laissons-les faire la guerre jusqu’à ce qu’ils s’en lassent, s’y épuisent, en meurent ou subissent la colère de leurs peuples (6). »

Tout se passe comme s’il fallait compter désormais avec plusieurs Afriques... L’une, à la dérive, saignée par des guerres civiles ouvertes ou larvées, l’autre, bonne élève des organismes internationaux, notamment financiers.

De tout jeunes « anciens combattants »

La première relève - quant à l’action internationale - de la gestion de crise et de la solidarité humanitaire : des « zones blanches » ou « grises », fonctionnant selon le « modèle des seigneurs de la guerre » (7), dans un cadre de non-droit et un climat de lutte pour la vie, où l’on s’aventure le moins possible, où foisonnent les milices ou les sociétés privées de sécurité (8), où triomphent la contrebande et l’informel, avec parfois des îlots « utiles » autour d’une mine ou d’une plantation qui financent le pouvoir local, sa clientèle, ses guerres. Les ressources minières - le diamant, surtout - ont été le nerf des conflits en Angola, en République démocratique du Congo, au Liberia et en Sierra Leone. Ailleurs, c’était l’ivoire (Angola, Mozambique), ou la drogue (Rwanda)...

A nouveau, sur le continent, quand l’Etat - pris dans l’étau de la dette et des mesures imposées par le Fonds monétaire international (FMI) - ne paie plus les salaires des fonctionnaires, et abandonne écoles, hôpitaux, transports, « la guerre est une alternative à une économie de paix qui ne nourrit plus : la kalachnikov est le meilleur moyen de production (9) ». Les laissés-pour-compte de l’exode rural, les jeunes « bricoleurs » des quartiers sont la chair à canon des guerres civiles. Beaucoup sont des enfants-soldats initiés très tôt à l’horreur, parfois enrôlés de force, comme par l’Armée de résistance du Seigneur, au nord de l’Ouganda : « Un crime sans nom, qui fait se consumer des générations entières (10) ».

Après la déroute de leurs armées ou milices, ces tout jeunes « anciens combattants », le plus souvent livrés à eux-mêmes, deviennent « coupeurs de route », détrousseurs de voyageurs (comme sur le rallye auto-moto du Dakar, en janvier dernier), ou assassins de touristes (comme dans le parc naturel de Bwindi, en Ouganda, début mars). Il est significatif que le mercenariat - traditionnellement franco-belge, puis alimenté par les pays de l’Est européen - s’africanise : des rescapés des putschs ou des guerres civiles en Gambie, Liberia, Sierra Leone ; des anciens des Forces armées rwandaises et de la Légion islamique de Libye, d’ex-combattants des fronts tchadiens ou touaregs proposent à leur tour leurs services, notamment au Congo ex-Zaïre...

L’autre Afrique est en émergence, parée des atours de la « bonne gouvernance », couvée par la Banque mondiale, courtisée par les investisseurs : regardés à la loupe par les afro-optimistes, quelques « pôles de développements bien ciblés et sécurisés (11) » qui - comme la Côte d’Ivoire, l’Ouganda, le Botswana - tentent de combiner stabilité politique, Etat de droit, cadre macro- économique viable, abandon des « mentalités administratives » et soutien au secteur privé, réformes économiques et sociales menées tambour battant ; et aspirent à constituer autant de pôles régionaux de croissance.

Et, entre ces deux Afriques, un marais de pays où l’Etat est encore une réalité, mais qui risquent à terme de basculer dans le chaos, en raison de la surcharge démographique, de la dégradation accélérée de l’environnement et de l’absence d’espoir d’amélioration des conditions de vie pour leurs habitants.

Dans son rapport sur les causes des conflits et la promotion d’une paix et d’un développement durables en Afrique (12), le secrétaire général de l’ONU, M. Koffi Annan, pointait certes le rôle des marchands d’armes ou des intérêts étrangers, mais insistait sur « le rôle que certains gouvernements africains jouent pour soutenir, voire fomenter des conflits chez leurs voisins », et relevait que la trentaine de guerres qui s’étaient déroulées sur le continent depuis 1970 avaient été en majorité internes, même si elles avaient fait plus de la moitié des victimes de conflits dans le monde entier, ainsi que plus de huit millions de réfugiés et déplacés.

Les causes de ces affrontements sont multiples : centralisation excessive du pouvoir politique et économique, engendrant corruption et népotisme ; refus de certains dirigeants de rendre des comptes et d’accepter l’alternance politique, en particulier dans les pays de la mouvance « francophone » (13) ; mépris des minorités ou, au contraire, monopolisation du pouvoir par des groupes particuliers (ethniques, régionaux, militaires, etc.), et absence de systèmes de représentation efficaces ; coopération insuffisante de part et d’autre de frontières qui séparent artificiellement une même communauté ; disputes sur des tracés territoriaux hérités de la colonisation, pour un accès à la mer, au pétrole ou à d’autres gisements de matières premières ; excès de certains budgets militaires, difficultés du retour à la vie civile pour les ex-combattants, insuffisance de contrôle de la circulation des armes légères...

Pourtant, il faut se méfier de l’ « Illusion d’optique », plaident certains observateurs. Une quarantaine d’Etats sur cinquante-trois, et de vastes régions à l’intérieur de pays en conflit, connaissent la paix. « C’est cette Afrique au travail qui compte », même si subsistent, dans certaines zones, quelques foyers de troubles, mais « de faible importance, qui affectent peu de monde, sont combattus, et par conséquent sont en voie de résorption (14) ».

La crise au Congo « démocratique », la famine au sud de la Somalie, le rachat d’esclaves au Soudan, les ravages de la corruption, les trafics de diamants ou d’ivoire, la misère quasi générale des systèmes d’éducation et de santé, les dégâts de la pandémie de sida (15), l’effondrement des cours des matières premières (pour la plupart à leur plus bas niveau historique, pétrole compris), la baisse continue de l’aide publique au développement (16), la mobilisation plus faible des organisations non gouvernementales et leur désarroi, etc., ne doivent pas « masquer le renouveau africain (17) ».

Ainsi, une douzaine de pays ont connu ces dernières années un taux de croissance d’au moins 5 %, et le revenu par habitant a progressé nettement entre 1995 et 1997 pour plus de trente des cinquante-trois Etats du continent. En tête du palmarès, l’Afrique du Sud, avec plus de 100 milliards de dollars de produit intérieur brut, en dépit d’un ralentissement récent ; la vitalité des économies nord-africaines (y compris de l’Egypte), quelques « miracles » (comme l’île Maurice ou la Tunisie), et des pays performants : Botswana, Ouganda, Ghana...

Une nouvelle génération de cadres et d’entrepreneurs africains a surgi, de plain-pied avec la mondialisation, la téléphonie, Internet, la langue anglaise, qui sont parfois d’anciens hommes politiques ou syndicalistes reconvertis, comme M. Cyril Ramaphosa en Afrique du Sud (18). L’intégration régionale a progressé à l’ouest, au sud, à l’est. Les partenaires se diversifient, avec l’entrée en scène des Etats-Unis et du Japon, alors que les relations jadis « obligatoires » avec les anciennes métropoles coloniales se banalisent. Certains secteurs d’activité « explosent », en Afrique comme ailleurs - électricité, informatique, électroménager, télécommunications et médias, tourisme - raccrochant peu à peu le continent, pour le meilleur ou parfois le pire, au train de la mondialisation.

Le renouveau est également politique. La « société civile » a fait irruption, avec l’extension du tissu associatif, la prise en charge de la sécurité ou du développement par les habitants des quartiers et villages. Les réformes se sont poursuivies dans une majorité d’Etats (parfois sous la menace occidentale de couper les robinets de l’aide) : élections, transparence, société civile. Alors que le continent - Afrique du Nord incluse - avait connu, entre 1952 et 1989, une soixantaine de coups d’Etat, seize pays ont accédé au multipartisme entre 1990 et 1993, et quarante-deux Etats ont à leur tête des dirigeants régulièrement élus ou réélus - même si certains relèvent de la catégorie des « dinosaures sortis des urnes  (19) ». Il n’est plus question de revenir aux pratiques des années 60 : palais gigantesques et autres « éléphants blancs », partis « uniques », uniformes chamarrés et autres bouffonneries...

Symboles éclatants de cette évolution : M. Nelson Mandela, en Afrique du Sud, dont la longue résistance en détention contre l’apartheid a fait un héros planétaire, passera la main au lendemain des élections générales du 2 juin prochain, après un parcours presque sans faute. Au Nigeria, les militaires ont organisé trois élections ces derniers mois, dont celle d’un président de la République - M. Olusegun Obasanjo en a été proclamé vainqueur le 1er mars - et laissent officiellement la place aux civils, en mai prochain, après dix ans de pouvoir chaotique, tandis qu’est envisagée la réintégration de ce « géant de l’Afrique » au sein du Commonwealth. En Algérie, une nomenklatura militaire usée semble sur le point de renoncer à son fonds de commerce : la monopolisation du pouvoir, au nom d’une indépassable « légitimité historique ». Or, à eux seuls, ces trois pays totalisent près du tiers de la population du continent, la moitié de son produit intérieur brut, un quart de ses ressources minières, un cinquième de son pétrole...

C’est aussi, sur le plan de la sécurité, face à « ces conflits auparavant "surdéterminés" par la guerre froide, [qui] ne sont plus canalisés par des puissances extérieures (20) », une prise en main des opérations, de plus en plus, par les Etats africains eux-mêmes : le déploiement des unités de l’Ecomog (21) ouest-africaine en Sierra Leone, au Liberia, en Guinée-Bissau ; une force interafricaine patronée par l’ONU en République centrafricaine ; l’Organisation de l’unité africaine (OUA) qui tente de dénouer l’imbroglio comorien et de ramener la paix entre l’Ethiopie et l’Erythrée.

Coopération militaire ou mercenariat d’Etat


Bien que les Français - et a fortiori les Américains (22) - ne souhaitent plus assumer le rôle de « gendarmes de l’Afrique », certaines de ces opérations sont menées avec l’appui occidental. Sous le patronyme de Recamp - Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix -, Paris veut étrenner les habits neufs de sa coopération militaire : entraînement des unités et formation des cadres (avec l’ouverture, cette année, d’une école en Côte d’Ivoire) ; prépositionnement de matériels logistiques ou de combat (utilisés lors des manoeuvres ouest-africaines « Guidimakha », au Sénégal, en mars 1998, ou lors des opérations d’interposition entre belligérants en Centrafrique et en Guinée-Bissau).
Les Etats-Unis, sous l’étiquette ACRI - African Crisis Response Initiative (Initiative de réaction aux crises africaines) -, entraînent les unités de plusieurs pays volontaires, dont le Mali, le Malawi, l’Ouganda et le Sénégal ; et des troupes américaines participent, ce mois d’avril, à la campagne d’exercices de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC).

Mais, sans attendre les aides ou mandats, des pays africains voisins prennent de plus en plus les devants : sept Etats sont présents militairement au Congo-Kinshasa, au côté du président Kabila, ou en appui aux rebelles du Kivu ; l’armée angolaise s’est portée au secours du régime du président Sassou Nguesso, au Congo- Brazzaville ; les armées sénégalaise et guinéenne étaient entrées en Guinée-Bissau, avant de laisser la place à l’Ecomog, derrière laquelle on discerne le rôle dominant - et les arrière-pensées régionales - du Nigeria ; la Tanzanie s’est impliquée diplomatiquement dans l’organisation du boycottage économique et des négociations de paix au Burundi.

Toutes ces entreprises ne sont pas sans danger : tentés par le « mercenariat d’Etat », le Tchad, le Zimbabwe, envoient - sur simple décision de leurs présidents - des corps expéditionnaires dans des pays dont ils ne sont même pas frontaliers. Certaines opérations, au Congo-Brazzaville, par exemple, dégénèrent en actions de police intérieure au service d’un chef d’Etat ami (comme cela a été longtemps, et à juste titre, reproché aux interventions militaires françaises). Et l’Ecomog ouest-africaine - seule force d’intervention régionale « officielle » - passe souvent pour le « prototype du contre- exemple (23) », en raison de l’influence démesurée qu’y exerce le Nigeria.

En mars 1998, au cours de sa première tournée sur le continent noir, le président américain, M. William Clinton, avait salué l’ « esprit constructif » des pays du bloc de la « renaissance africaine », ses nouveaux alliés dans la place ; mais, quelques mois plus tard, la plupart avaient repris les sentiers de la guerre. Le slogan « Une solution africaine aux problèmes africains », « qui cache mal le désengagement militaire occidental, ne doit pas ouvrir la voie aux ingérences menées sans contrôle démocratique », estime l’ancien ministre mauritanien Ahmedou Ould Abdallah.

L’OUA, dont le siège est à Addis-Abeba, n’a pu empêcher l’Ethiopie d’entrer en guerre avec l’Erythrée, pas plus qu’elle n’a été en mesure de mettre sur pied la force d’interposition dont elle rêvait pour ramener la paix au Congo ex- Zaïre. Son ambitieux « mécanisme de prévention, de gestion et de règlement des conflits » est resté une coquille vide, faute de pouvoir prendre des décisions politiques, puis de les appliquer. Et l’organisation panafricaine - tout comme l’ONU, dont le retrait d’Angola apparaît comme un énorme échec - en est réduite au rôle peu glorieux de fournisseur de labels et de mandats pour légitimer sur le tard, une fois les crises consommées, des initiatives militaires ou diplomatiques dont elle ne détient pas la clé.

Philippe Leymarie
Journaliste à Radio France Internationale..

Août 2008

(1) Avec l’empereur d’Ethiopie, le régime d’apartheid sud-africain, ou le pouvoir du maréchal Mobutu Sese Seko au Zaïre.
(2) En Afrique, le standard moyen de « l’arme lourde » est plutôt le mortier.
(3) Après le Somaliland, au nord, l’Etat du Puntland, au centre et nord-est, s’est proclamé à son tour indépendant. Son site Internet : www.puntlandnet.com.
(4) Albert Bourgi, Jeune Afrique, 16 février 1999.
(5) Une inclination contre laquelle s’efforcent de lutter les Billets d’Afrique et d’ailleurs, rédigés avec passion par François-Xavier Verschave, Lettre mensuelle de l’association Survie, 57, avenue du Maine, 75014 Paris.
(6) Bechir Ben Yahmed, « Il faut boycotter les va-t-en-guerre », Jeune Afrique, 16 février 1999.
(7) Serge Michaïlov, directeur des opérations pour l’Afrique centrale à la Banque mondiale, lors d’un colloque sur « La nouvelle politique africaine de la France », à l’Assemblée nationale, le 25 novembre 1998.
(8) Air France, comme d’autres compagnies étrangères, a passé un contrat avec une société privée, chargée d’assurer la sécurité de ses escales africaines.
(9) Stephen Smith, « L’Afrique aux Africains... en armes », Libération, 29 novembre 1998.
(10) Dossier de L’Autre Afrique, 10 février 1999.
(11) Antoine Glaser, La Lettre du continent, janvier 1999.
(12) Rapport présenté au Conseil de sécurité, le 16 avril 1998.
(13) Parmi les nombreux pays « à problèmes »  : Guinée, Djibouti, Centrafrique, Tchad, Togo, Niger, Cameroun, et même Côte d’Ivoire où le pouvoir actuel tente d’écarter de la course présidentielle en l’an 2000 l’ancien premier ministre Alassane Ouattara, en lui opposant un article sur mesure, opportunément ajouté à la Constitution.
(14) Bechir Ben Yahmed, Jeune Afrique, 7 février 1999.
(15) Près des deux tiers des personnes infectées dans le monde vivent en Afrique noire. En 1998, le sida a tué deux millions d’Africains, dont un quart d’enfants.
(16) Le comité d’aide au développement de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) relève que les pays du G7, les plus riches et les principaux contributeurs, ont diminué leur aide de 30 % depuis 1992. En France, selon le rapport de M. Yves Tavernier, l’aide publique bilatérale est en chute libre : 24 milliards de francs en 1994, 16 milliards en 1998.
(17) Ahmedou Ould Abdallah, secrétaire exécutif de la Coalition mondiale pour l’Afrique, Libération, 29 janvier 1999.
(18) Jeune Afrique Economie, 15 février 1999. Voir aussi « Patron noir et or sud-africain », Le Monde diplomatique, mai 1998.
(19) Martine-Renée Galloy et Marc-Eric Gruénais, « Des dictateurs africains sortis des urnes », Le Monde diplomatique, novembre 1997.
(20) Stephen Smith, op. cit.
(21) Ecowas Cease-Fire Monitoring Group (Groupe de la communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest chargé du contrôle et de la mise en oeuvre du cessez-le-feu).
(22) Leur seule action de terrain au sol, en Somalie, avait été un cuisant échec.
(23) Jean- Baptiste Placca, L’Autre Afrique, 18 février 1998.


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