« Partout, des adaptations majeures seront à apporter pour faire face aux impacts du réchauffement »
Publié aujourd’hui à 12h48, mis à jour à 13h25

Robert ­Vautard, directeur de recherches au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement, a répondu à vos questions.

La moitié de l’humanité sera menacée d’ici à 2100 par des catastrophes massives et simultanées : sécheresses, famines, inondations. L’analyse publiée par Nature Climate Change synthétise 3300 études sur le changement climatique depuis 1980. La santé, l’alimentation, l’eau ou l’économie sont affectées sous 467 formes différentes

Robert ­Vautard, directeur de recherches au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement, a répondu à vos questions.

Paul : Qu’entendez-vous exactement par « catastrophe climatique cumulées » ?
Robert ­Vautard : Il s’agit de la concomitance de plusieurs catastrophes : une sécheresse, des inondations et des tempêtes, toutes majeures, et cumulées dans la même période de temps relativement courte – comme par exemple une année.

Chat teigneux : Quel continent sera le plus touché par le réchauffement climatique d’ici 2100 ? L’Europe sera-t-elle plus ou moins impactée que le reste du monde ?
R.V. : Tous les continents sont affectés, et en particulier toutes les régions tropicales : Afrique, Asie, Amérique du Sud et Amérique centrale sont les plus touchées, ainsi que toutes les zones côtières. De manière générale, la moitié de la population mondiale serait affectée par un aléa d’intensité maximale, dans un scénario où le réchauffement est maintenu à 2 °C. Dans un scénario où les émissions de gaz à effet de serre se poursuivent au rythme actuel, la moitié de la population serait exposée à une forte hausse d’au moins trois aléas, et jusqu’à six pour les régions côtières tropicales.
L’étude : L’humanité soumise à des catastrophes climatiques en cascade

Bob : On voit souvent des cartes représentant les anomalies de température prévues selon la région. Quelles sont les régions qui subiront un « refroidissement climatique » ou qui ne subiront aucun changement ?
R. V. : Toutes les régions du monde subiront un réchauffement dans les décennies à venir, à l’exception peut-être de l’Atlantique Nord (vers le Groenland) : la température de surface de l’océan à cet endroit-là pourrait diminuer un peu.

Jiemel : Que conseillez-vous aux générations futures ? Vivre dans une mégapole ? Ou à la campagne ?
R. V. : Quel que soit l’endroit où l’on vit, des adaptations majeures seront à apporter pour faire face aux impacts qui sont à venir. Dans les villes, il faut bien sûr craindre les effets de température qui vont être exacerbés par les îlots de chaleur ; à la campagne, on pourra craindre des problèmes de sécheresse sur l’agriculture et sur les sols, qui induisent des phénomènes de risque sur les habitations. Il y aura des adaptations à apporter dans un cas comme dans l’autre.

lilou : Le cumul des impacts du changement climatique et des inégalités socio-économiques pose des questions en termes d’injustice climatique. On en a parlé lors de l’ouragan Katrina, mais depuis, où en est-on ?
R. V. : Les grands émetteurs de gaz à effet de serre sont les pays les plus développés, et ils auront certainement plus de facilités à s’adapter que les pays en développement qui, eux, n’ont quasi pas contribué au changement climatique. C’est un phénomène très injuste. C’est bien l’enjeu de l’accord sur le climat : mettre en place un mécanisme qui soit perçu comme juste par tous les pays. Un effort majeur reste à faire par les pays en développement, comme l’Inde, ou en Afrique, qui doivent sauter une étape pour ne pas utiliser le carbone comme vecteur de développement, ce qui est très complexe. Cela signifie des investissements « décarbonés », qui nécessitent des financements et des garanties.

Lord Brit : Quelles solutions existent si on veut éviter la guerre et le chaos ? J’en vois deux : soit un bond technologique, une découverte majeure qui bouleverse nos connaissances ; soit une décroissance organisée, une baisse de la démographie, un rééquilibrage global. Aucune de ces deux solutions ne paraît crédible. Avez-vous une autre vision ?
R. V. : La vision actuelle est quand même de dire qu’il faudra faire feu de tout bois. Chaque effort compte. Mais ces efforts ne pourront pas être menés s’ils sont perçus comme injustes, trop difficiles ou mal présentés. La question ne peut qu’être abordée de manière interdisciplinaire, entre la physique, la sociologie ou l’économie. Ce ne sont pas seulement les technologies qui permettront de réaliser ces efforts. Il y a aussi une nécessité de conviction de la population.

Il faut diminuer les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi s’adapter au changement climatique. Le rapport du GIEC sur comment limiter le réchauffement à 1,5 °C donne une liste des grandes catégories d’efforts et de solutions à déployer : la décarbonisation dans certains secteurs (agriculture, énergie), des pratiques agricoles modifiées, une forte atténuation des émissions dans les transports. Il faut aussi développer de nouvelles technologies pour capturer du carbone de l’atmosphère.

John : Qu’en est-il de la géo-ingénierie, lorsque l’on parle par exemple de refroidir la Terre en diffusant de la craie dans la haute atmosphère, en renvoyant une partie du rayonnement solaire dans l’espace ou en séquestrant massivement du CO2 par des procédés industriels ?
R. V. : Il y a de nombreuses études sur ces technologies, et il faut prendre cette recherche au sérieux. Une partie des scientifiques pensent qu’il vaut mieux se préparer à l’utilisation de ces technologies dans le futur. On n’a pas la certitude qu’elles fonctionnent aujourd’hui.

Il faut aussi étudier les risques que ces technologies génèrent : par exemple, on ne connaît pas la stabilité à très long terme du CO2 séquestré dans certaines poches de gaz. Est-ce qu’il ne va pas ressortir. La géo-ingénierie du rayonnement solaire (le fait de le masquer par des particules comme des sulfates) induirait un refroidissement global car les grandes éruptions volcaniques nous le montrent. Mais on ne résout pas le problème de l’acidification des océans, et il y aurait des impacts sur l’hydrologie. Les risques sont aussi de nature géopolitique : celui qui contrôlerait le rayonnement solaire aurait un pouvoir terrible. Cela supposerait une gouvernance acceptée par tous avant que ce type de technologie puisse être imaginé.

Bleech : Fait-on des recherches sur des gaz qui pourraient avoir un effet « contraire » aux gaz à effets de serre ?
R. V. : Ajouter des gaz supplémentaires ne retirerait pas les gaz à effet de serre et leurs effets au niveau du rayonnement. Ce n’est pas possible d’un point de vue physique.

De l’eau de là : La récolte des icebergs est-elle enfin sérieusement envisagée, comme le proposait Georges Mougin, ou plus récemment Thierry Chapin dans son Ice Water Project Just Ice For All ?
R. V. : Cette idée ne semble pas physiquement réalisable, et cela ne résoudrait pas les problèmes majeurs du changement climatique : refroidir les eaux à certains endroits pourrait résoudre quelques problèmes, mais pas celui du changement climatique global et tous les aléas qui sont associés (sécheresses, inondations, tempêtes, etc). Cela paraît un effort titanesque pour des effets très mineurs – sans compter la consommation d’énergie pour transporter des centaines d’icebergs.

EsBa : Y a-t-il un intérêt à se former à l’adaptation en tant que citoyen, ou bien est-ce fondamentalement quelque chose qui relève de l’action collective ?
R. V. : Il est indispensable de comprendre les changements majeurs qui nous attendent et comment s’y adapter à toutes les échelles : des Etats, des collectivités, des citoyens. En France, cela reviendrait par exemple à ne pas investir dans une maison trop exposée au débordement d’un cours d’eau. Il s’agirait également de bien se protéger, surtout pour les personnes âgées, aux vagues de chaleur qui vont augmenter en fréquence grâce à une meilleure isolation et aussi climatisation. Se prémunir contre des événements extrêmes comme les inondations dans l’Aude. Sur les régions côtières, il faut se préoccuper de façon très importante de la montée du niveau des mers. Pour les régions de montagne en basse ou moyenne altitude, cela revient à penser à une évolution des activités touristiques hivernales, qui sont un gros secteur économique..


20  Novembre 2018

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