Le changement climatique fragilise un milliard de travailleurs
Par Rémi Barroux

« Lors d’une manifestation dans les rues d’Hyderabad, en Inde, j’évoque la température élevée, plus de 40 °C, et un militant me rapporte qu’à plus de 50 °C, il a vu un oiseau tomber du ciel. Je lui demande alors si cela ne l’inquiète pas et il me répond : “Non, je ne vole pas”. » L’histoire racontée par Philip Jennings, le secrétaire général d’UNI Global Union, fédération syndicale internationale des secteurs de services, est révélatrice.

L’augmentation de la température due au changement climatique touche le monde du travail, mais la prise en compte du phénomène est plutôt récente. Heures perdues liées aux fortes chaleurs, accidents, maladies, productivité en berne, pertes d’emploi et migrations, la liste des conséquences est longue.

A quelques jours de la journée internationale des travailleurs du 1er-Mai, plusieurs agences de l’ONU et organisations internationales (dont l’Organisation internationale du travail, l’Organisation mondiale de la santé, l’Organisation internationale pour les migrations ou la Confédération syndicale internationale) ont conjugué leurs approches pour publier un rapport, jeudi 28 avril, « Changement climatique et travail : impact de la chaleur sur les lieux de travail ».

« Les plus pauvres paient le prix le plus cher »

L’enjeu était « de casser les barrières, de trouver des solutions possibles pour un problème qui concerne à la fois le climat, l’environnement, le développement économique et les problèmes sociaux », avance Elise Buckle, pour le Programme des Nations unies pour le développement, à l’origine de ce travail avec le Forum des pays vulnérables.

Selon ce rapport, inspiré des travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), la perte de productivité liée à la hausse de la température pourrait coûter plus de 1 800 milliards d’euros par an d’ici à 2030. Ce thermomètre élevé, au-dessus de 35 °C, est un problème majeur pour près d’un milliard de travailleurs, en Asie, en Afrique et en Amérique latine, soit un tiers du nombre total de travailleurs dans le monde. « Ce sont les plus pauvres qui paient le prix le plus cher, ils sont littéralement placés sous le grill en travaillant à l’extérieur ou à l’intérieur sans climatisation, explique Philip Jennings. Et ils doivent faire un choix difficile : mettre leur vie en danger en étant exposés aux coups de chaleur et à une grave déshydratation, ou risquer de perdre leur travail et leur revenu pour leur famille. »

Pertes horaires pour raison de chaleur excessive

Les personnes travaillant en extérieur sont les plus vulnérables, comme dans l’agriculture, où les femmes sont particulièrement exposées, et le bâtiment. Mais aussi dans la confection ou encore l’industrie, dans des pays où les conditions de travail sont loin d’être décentes. « Prendre trente minutes de pause pour se mettre dans un endroit frais, se réhydrater, n’est pas très courant dans des pays tels que le Bangladesh, l’Inde, le Pakistan, estime Elise Buckle. Sauf, cas plutôt rare, si les syndicats sont présents et négocient avec l’employeur. »

Selon elle, en l’absence de négociations, les gouvernements doivent proposer des réglementations qui tiennent compte de ces nouvelles conditions. Le Burkina Faso, le Niger et le Tchad ont pris des décrets instaurant, dans le secteur public, une journée continue de 8 heures à 15 h 30.

Philip Jennings aime à citer l’exemple du Qatar et de la Coupe du monde de football de 2022. « Les footballeurs ont refusé de jouer en été car la température y dépasse les 50 °C, alors les matchs auront lieu en hiver. Mais combien de salariés peuvent se permettre d’imposer un tel changement ? », s’interroge-t-il.

Si rien n’est fait, écrivent les auteurs du rapport, les pertes horaires pour raison de chaleur excessive se révéleront importantes. Plusieurs scénarios ont été étudiés, selon que le réchauffement atteindrait 1,5 ou 2,4 °C, voire 4 °C. En Inde, ces trois hypothèses se traduiraient, à l’horizon 2085, par des pertes de 4,3 % d’heures diurnes de travail, 7 % et 13,6 % pour le pire scénario. Au Pakistan, 6 %, 8,6 % et 15,3 % ; au Nigeria, 2,6 %, 5,2 % et 13,8 %. Les pays nordiques ou tempérés ne sont pas touchés avec une telle ampleur.

L’érosion côtière menace l’emploi

Mais le changement climatique ne se manifeste pas seulement par ces fortes chaleurs. La montée des eaux menace aussi l’économie et les conditions de travail. Le Sénégalais Moustapha Kamal Gueye est spécialiste des emplois verts à l’OIT. Il témoigne des conséquences de ces dérèglements climatiques. « 30 % des hôtels dans la zone de tourisme balnéaire de Saly, au sud de Dakar, ont dû fermer à cause de l’érosion côtière. C’est autant d’emplois perdus, alors que le tourisme est le deuxième pourvoyeur de l’économie du pays », explique-t-il.

Pour lui, comme pour l’ensemble des organisations qui ont travaillé sur ce rapport, la prise de conscience devient urgente. « Il faut être plus exigeant, reconsidérer les conditions de travail, les horaires, les temps de pause, les tenues… Et surtout encourager la réorientation de l’économie pour rester bien en dessous des 2 °C de réchauffement », insiste Philip Jennings.



29 Avril 2016

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